Léa Fehner se révèle avec Qu’un seul tienne et les autres suivront, un premier film au réalisme prenant, socialement significatif et humainement bouleversant.

Elle a étudié à L’INSAS avant de terminer son cursus à la FEMIS à Paris. A même pas 30 ans, la native de Toulouse nous offre un premier long métrage d’une force et d’une émotion singulières. Léa Fehner s’inscrit dans une tendance de plus en plus vigoureuse de cinéma réaliste, à résonance sociale, prenant pour personnages principaux des citoyens modestes, marginaux, en principe peu taillés pour être des héros de cinéma. L’£uvre de Ken Loach et des frères Dardenne, mais aussi dans le passé le néo-réalisme italien, sont le terreau de cette remarquable émergence. Qu’un seul tienne et les autres suivront révèle le talent fort prometteur d’une jeune cinéaste ne confondant pas engagement sincère et vision simpliste, didactique. Léa Fehner trouvant la juste distance et distillant une sobre émotion solidaire.

Comment est né ce premier film aux thèmes sociaux et humains très affirmés déjà?

Je me rends compte que ce film rassemble des choses sur lesquelles j’avais déjà travaillé dans mes courts métrages, des thèmes qui devaient éclore dans le premier long. L’idée de la perte d’un enfant, celle de l’emprisonnement, m’avaient déjà traversée. Ce qui a tout cristallisé, surtout, c’est mon expérience de travail associatif en milieu carcéral, que j’ai mené à mi-temps tout en faisant mes études. Les rencontres que j’ai faites à cette occasion m’ont fort marquée. Mon désir de cinéma, jusqu’alors un peu abstrait, s’est transformé en désir de sens, en désir de dire, de parler de certaines choses. En désir de conter, d’explorer. Avec en moi l’empreinte de ces personnalités fortes, courageuses, que j’avais rencontrées en prison. Cette idée de courage est devenue dominante, surtout à l’âge où l’on se rend compte, comme dit mon compagnon, que  » nous aussi nous sommes responsables du monde dans lequel nous vivons« …

Comment avez-vous décidé de raconter les 3 histoires qui s’entrecroisent dans le film?

A un moment donné, il y en a eu une quatrième, qui abordait le sujet de la sous-traitance dans le monde du travail. J’y ai renoncé car c’était trop riche, et que cela rendait les trajets trop complexes. Les 3 récits qui restent, je pouvais mieux les saisir, les organiser. J’aime beaucoup les films choraux comme en faisait Altman, avec une dizaine d’histoires, mais me limiter à une trilogie me convenait mieux. D’autant que déjà ainsi, les êtres sur lesquels vous écrivez vous dépassent, et vous offrent une matière abondante. Ils sont comme le Golem, que l’on crée à partir de la glaise puis qui vous échappe, devient incontrôlable et défonce les murs. Et c’est tellement plus intéressant! Laure, Zohra et Stéphane sont nés de morceaux de rencontres et de faits divers, mais ils m’ont menée bien au-delà du prévisible. Un film aussi construit que le mien peut être beaucoup moins réfléchi qu’on le croit, et même qu’on l’aimerait!

Le film dit des choses sur la société, mais il ne délivre pas de discours démonstratif. Les personnages ne sont pas emblématiques, ils sont au contraire on ne peut plus incarnés…

Il y avait 2 chemins possibles, à l’écriture. Je me suis souvenue d’une phrase du grand scénariste Jean-Claude Carrière, qui disait qu' » on trouve son personnage quand on a trouvé son n£ud de vulnérabilité« . Cette image m’a habitée durant tout le travail, ce constat qu’un personnage existe avant tout par ses failles, plutôt que par ses qualités, par ce qui peut le rendre, justement, emblématique. J’ai voulu que chaque personnage ait sa complexité, ses multiples. Je suis partie dans l’écriture du script avec un grand désir de romanesque, alors même que je venais d’une expérience associative durant laquelle j’avais été confrontée à des choses très scandaleuses, à des parcours – pour le coup – emblématiques, généralisables… J’aurais pu faire un film réquisitoire, mais j’aspirais à plus. Comme creuser la question du lien, chercher son essence dans ce lieu où il s’exprime tellement fort qu’est le parloir d’une prison… Je voulais aussi que les personnages aient à choisir, et opèrent des choix, bien plus que je ne m’en sens parfois capable moi-même. Je voulais qu’ils aient cette force de faire bifurquer leur vie, leur histoire.

Rencontre Louis Danvers

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content