Entre humour et émotion, Agnès Jaoui évoque sa nouvelle comédie humaine, un Parlez-moi de la pluie au charme aigre-doux persistant.

Focus: à quel moment une idée de sujet pour un film devient « l’idée » que l’on va passer ensuite deux ou trois ans à concrétiser?

Agnès Jaoui: Jean-Pierre et moi, depuis trois films et par peur de se répéter, on se dit à chaque fois qu’on va changer la forme. Ainsi, au départ, Le Goût des autres devait être un film policier, et Comme une image, un conte de fée… Mais au bout d’un moment, on se dit qu’on ne sait pas le faire, et qu’on va revenir à nos sujets ou travers habituels… Pour ce film-ci, nous sommes partis sur le thème de la culpabilité. Au bout de deux mois, on s’est rendu compte qu’on enfonçait des portes ouvertes. Et puis, Woody Allen avait tout dit sur le sujet dans Crimes et délits… Mais de ces débuts infructueux, il reste des personnages, des ébauches de construction. Et les choses prennent sens sur un chemin qui n’est pas linéaire. Nous nous retrouvons face à une masse de glaise qui tout d’un coup révèle d’elle-même la forme qu’elle va prendre…

Comment définiriez-vous votre personnage dans le film?

Elle n’est pas méchante. Un peu revêche, sans doute. Mis à part sa condescendance envers sa s£ur et envers les victimes en général, je souscris à ce qu’elle dit. J’aime son côté « petit soldat », constructif, qui va de l’avant, qui reste positif. Je pense, comme elle, qu’il faut aller au bout des choses une fois qu’on les a commencées, sinon ça ne sert à rien…

Le thème dominant de Parlez-moi de la pluie est celui de l’humiliation « ordinaire », restituée en variations subtiles au fil des personnages et des situations…

Ce fut assez vite notre intention, bien que cela soit si difficile à rendre. Ce que dit le personnage de Jamel sur l’humiliation « ordinaire » est très fort (très écrit aussi), d’autant plus qu’il sait de quoi il parle. Je ne m’attendais pas à ce que ces mots ressortent autant du film. Mais tout notre travail, à Jean-Pierre et à moi, revient souvent à cette idée d’à quel point il est difficile de se mettre à la place de l’autre. Et à quel point pourtant il serait bon de pouvoir vivre de temps en temps une journée dans la peau d’un arabe qui se fait contrôler sans cesse, dans celle d’une femme qui subit le regard des hommes, et leurs gestes… Bien sûr, nous vivons une époque où tout le monde se plaint, réclame d’être reconnu comme victime, et même comme plus victime que les autres victimes. Moi aussi cela m’énerve souvent. Mais en même temps, nous ne savons pas ce que vivent vraiment ces gens qui sont dans la plainte. Je suis heureuse si le film permet de les comprendre un peu mieux, à travers l’identification, a priori possible, du spectateur aux différents personnages.

Jamel est extraordinaire dans votre film. Il montre des choses que beaucoup ne le soupçonnaient pas capable de jouer. En avez-vous eu une sorte de prescience?

J’avais fait des essais avec Jamel pour Comme une image. Il ne correspondait pas au personnage, et n’a pas eu le rôle. Mais j’avais vu que c’était un acteur, un vrai, donc dirigeable. Et puis, je le connais dans la vie. Je l’ai vu avoir des colères comme celle que nous lui avons écrite pour le film… Comme vous dites, j’ai eu comme une prescience. Je n’étais pas totalement sûre. Mais comme nous répétons énormément avant de tourner, je suis arrivée très tranquille sur le plateau. Je sentais que Jamel n’allait pas avoir peur et retomber dans ces tics que tout acteur balade (moi la première) et qui rassurent.

Pour la plupart des personnages, les choses se terminent assez bien au bout du compte…

Il y a eu, durant l’écriture, une version bien plus sombre de la fin du film. Mais à la lecture du script, plusieurs personnes nous ont dit que c’était bien trop triste. Nous ne nous en étions pas rendu compte. Cette noirceur nous avait un peu dépassés, nous qui – dans la vie – sommes plutôt des « optimistes tristes » (ou des « pessimistes gais », peut-être). Moi qui en ai beaucoup voulu à Maupassant, à Zola, de terminer tant de leurs livres de manière dramatique, j’ai voulu qu’après la pluie, il y ait en effet le beau temps. Un beau temps qui n’est qu’intéressant parce qu’il y a eu la pluie, avant… J’aime les fins ouvertes que le spectateur va trouver heureuses ou tristes selon son humeur au moment où il voit le film…

Entretien Louis Danvers

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