Festival | La folle aventure du groupe Echt! à Eurosonic

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Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

Comment participer au plus grand festival des musiques européennes destiné aux professionnels, s’y distinguer et l’exploiter? Les jazzmen modernes de Echt! racontent leur récente expérience au royaume des murs de croquettes.

315 artistes européens. 24 scènes. 4 250 professionnels. 44 000 visiteurs (sur l’ensemble du festival). C’est peu de dire qu’Eurosonic est une grande fourmilière. Du 18 au 21 janvier, après deux ans de repos forcé et d’éditions digitales, le festival néerlandais a à nouveau rameuté à Groningen toute l’industrie musicale. Programmateurs et tourneurs, salles et festivals, labels et agences… À Eurosonic, tout le monde fait ses petites courses, vend ses produits., cherche les bonnes affaires. Pas évident dans ce contexte de tirer son épingle du jeu. Dans la délégation noir-jaune-rouge, entre The Haunted Youth qui fait déjà son trou à l’étranger et Catherine Graindorge qui collabore avec Iggy Pop, entre l’afrobeat de M.Chuzi et l’ovni griot Avalanche Kaito, Bolis Pupul sans Charlotte Adigéry et Lander Gyselinck sans Stuff. (mais avec Adriaan), il y avait le groupe bruxellois Echt! Deux Montois, un Français de Montpellier et un Italien des Pouilles qui font groover leur sombre jazz made in Belgium. à la table d’une immense brasserie sur la Grote Markt, accompagnés de leurs managers (Sébastien Desprez et Julien Gathy), Martin Méreau (batterie), Dorian Dumont (claviers), Florent Jeunieaux (guitare) et Federico Pecoraro (basse) racontent leur city trip, sa préparation et ses enjeux.

À Groningen, en concert directement chez le disquaire. © National

Sébastien Desprez: “Pour participer à Eurosonic, tu dois répondre à un appel public pendant l’été. C’est en juin- juillet. Tout le monde peut s’inscrire. Tu as juste un formulaire à remplir. Tu postules, tu poses ta candidature. Mais il faut quand même bien réfléchir stratégiquement. Parce que normalement tu ne peux jouer qu’une seule fois au festival. Il s’agit dès lors de trouver le moment le plus propice à ton développement. Avec Echt!, c’est un peu particulier. Le groupe avait participé à la version en ligne l’an dernier. L’organisation a accepté qu’il joue pour de vrai cette année.”

Julien Gathy: “En gros, tu dois détailler ton actualité, ton organisation, ton encadrement, ton entourage. Et expliquer pourquoi ça fait sens maintenant de t’exporter.”

Sébastien Desprez: “Chacun va ensuite défendre son projet en direct auprès des programmateurs et des programmatrices. Nous, on délègue la partie booking aux agences avec lesquelles on collabore. EBB, qui représente Echt! aux Pays-Bas, entretient de très bons contacts avec l’équipe d’Eurosonic. Il est important d’être bien entouré. Tu as quand même une grosse concurrence et il faut arriver à faire en sorte que tes targets, les festivals où tu veux jouer, les agences avec lesquelles tu pourrais éventuellement bosser et même d’éventuels labels viennent te voir. Il y a plein de choses que tu n’as pas vraiment sous contrôle mais que tu essaies d’influencer. Ce genre d’événement demande un gros travail préparatoire.”

À Groningen, en concert directement chez le disquaire.
L’art de la débrouille… © National

Julien Gathy: “Le show n’est pas vraiment payé. Tu as juste un défraiement. Tu es donc clairement là pour te faire entendre. Il faut tout entreprendre pour que ce ne soit pas un coup dans l’eau et juste un concert de plus. Chaque membre de l’équipe sollicite ses contacts et via la database de tous les délégués présents au festival. On fait du démarchage. Jeroen (EBB) avait déjà vraiment poussé pour qu’on obtienne le meilleur slot possible. Le meilleur slot, c’est une heure, c’est un endroit. Après, ça reste le choix de la progra. Tout ça est évidemment lié à ton style de musique. On a été voir Marina Herlop. C’était tôt dans la soirée, mais dans une église. Ça collait parfaitement à sa musique.”

Martin Méreau: “On est partis assez tôt mercredi. Peut-être un peu trop d’ailleurs. On s’est bouffé de délicieux sandwichs d’autoroute. Et on est arrivés dans le coin à 17 heures. Eurosonic est fourmillant, tu t’en rends compte tout de suite. Il y a d’emblée beaucoup de groupes et de monde dans le village réservé aux artistes. Une espèce de grand hall de gare. On est arrivés au Simplon, la salle où on jouait, à 21 heures avec tout notre matériel et on n’a pas pu avoir d’endroit au chaud pour le monter. Du coup, on s’est tapé l’assemblage dehors avec des gants. ça m’était déjà arrivé de monter dehors, mais dans un pays où tu n’as pas d’hiver.”

Dorian Dumont: “Dans ce genre de festival, les conditions peuvent parfois être assez roots. Tu as un paquet d’artistes et très peu de temps pour le turn over.”

Montage à l’extérieur avant le concert décisif. © National

Florent Jeunieaux: “On a joué à 23 h 15. 45 minutes, c’est pas si court que ça. On est habitués à ce format.”

Martin Méreau: “On doit juste essayer d’oublier qu’il y a probablement 80% de professionnels et qu’ils ne sont pas les plus faciles à faire danser.”

Dorian Dumont: “On a quand même été agréablement surpris. Il y avait une chouette ambiance. Ça nous a fait oublier le côté un peu guindé de ce genre de rendez-vous.”

Florent Jeunieaux: “Souvent, il y a quelques fans qui viennent au premier rang. Tu prends leur énergie et tu ne regardes pas trop ce qui se passe derrière, si les pros ont dégainé leur stylo.”

Martin Méreau: “Sur un court concert comme celui-là, on écarte quelques morceaux un peu plus calmes. On essaie de faire en sorte qu’il y ait un fil conducteur au niveau de l’énergie pour arriver à une fin bien punchy. C’est une question de timing. Dès qu’il est assez serré, on va droit au but.”

Federico Pecoraro: “Au final, on essaie comme d’habitude de montrer ce qu’on est sur scène.”

Dorian Dumont: “On avait déjà participé au Fifty Lab à Bruxelles et au Jazz Up! Europe à Nancy qui au final s’était révélé être un concours (Echt! l’a remporté). Ce qui était une première ici, c’était de donner un concert avec un bassiste à neuf doigts.”

Federico Pecoraro: “Je m’en suis épluché un vendredi dernier. J’ai eu peur que ça ne mette en péril le concert. J’ai été aux urgences. Ma main ne pouvait vraiment pas bouger. Alors, j’ai été voir un professionnel qui m’a fait un type de pansement différent.”

Dorian Dumont: “Si Federico n’avait pas pu jouer, on aurait dû annuler. Echt! est quand même le genre de projet où il est très compliqué d’être remplacé.”

Montage à l'extérieur, un doigt du bassiste en moins: les conditions roots d'Eurosonic.te.
Un doigt du bassiste en moins. © National

Florent Jeunieaux: “Après, Federico a quand même fait une répète en jouant de la basse au clavier. Si on avait eu quelques jours ou une petite semaine devant nous, il aurait pu être prêt.”

Sébastien Desprez: “Nous, pendant le concert, on regarde surtout qui est là. Et si on voit qu’une personne importante tente de se barrer, on essaie de la retenir en lui offrant une bière… Le groupe a joué une deuxième fois jeudi midi dans un magasin de disques. Quand tu as des petites cartouches que tu peux tirer comme ça à côté de ton concert, il ne faut pas s’en priver. Des gens qui ne sont pas venus la veille sont peut-être passés… Notre grand objectif de l’année, c’est la tournée européenne. On a fait une Ancienne Belgique de 850 personnes il y a deux mois. Là, on veut vraiment sortir du pays. On va atteindre le plafond de verre chez nous avec un groupe instrumental assez underground malgré tout. Donc, on veut vraiment grandir à l’étranger. La timeline est clairement un des éléments clés. à quel moment tu fais quoi, c’est l’une des choses les plus importantes dans la stratégie d’un groupe. On a d’ailleurs un peu pressé les garçons pour qu’ils enregistrent un nouvel album. Parce que selon nous il fallait taper sur le clou. Amener du contenu, relancer une tournée. Là, on cherche à convaincre les programmateurs de festivals européens sur lesquels on veut jouer (J+5, Echt! a déjà reçu des propositions très concrètes d’Italie, de République tchèque et de France, NDLR).”

Julien Gathy: “Il y a des scènes qui sont plus développées que d’autres en fonction des pays. L’avantage, c’est qu’un projet comme Echt! peut jouer partout.”

Sébastien Desprez: “Eurosonic s’inscrit dans une stratégie, fait partie intégrante du développement. On va sortir le premier single de l’album à venir la semaine prochaine. On n’aurait pas fait ça si tôt sans ce festival.”

Dorian Dumont: “Nous, les plans qu’on fait sont musicaux. L’album a été enregistré l’été dernier et il sortira le 5 mai.”

Federico Pecoraro: “On a encore davantage assumé nos sonorités un peu sombres. Mais il y a aussi des perles un peu plus brillantes et rassurantes. On a beaucoup travaillé dans la recherche sonore.”

Dorian Dumont: “On fait de la musique ensemble depuis 2017. à la base, on vient tous du jazz. On a fait le conservatoire à des endroits différents et on voulait explorer les musiques qu’on écoute. L’électro, le hip-hop. L’album à venir nous semble plus mature et cohérent. Moins chien fou. Il raconte vraiment une histoire.”

Martin Méreau: “La bonne humeur et la drôlerie ne sont pas super palpables au premier abord, parce qu’on est assez sombres. Il y a de la densité, de la gravité même parfois. Mais on le fait avec une grosse banane au fond de nous. C’est lourd mais servi avec un gros fou rire. Parce qu’avant tout, on fait ça pour s’amuser.”

© National

4 groupes à suivre découverts à Eurosonic

Gurriers

Ils n’ont encore que quelques singles à leur actif mais Gurriers, composé de cinq potes, collocs et collègues, s’annonce définitivement comme la prochaine sensation made in Dublin. Comme Fontaines D.C. et The Murder Capital avant eux (non sans rappeler leur musique d’ailleurs), les Gurriers ont tapé un grand coup à Eurosonic. Né pendant le confinement, le groupe irlandais dépote avec un rock offensif, post-punk et bruitiste, et un chanteur charismatique qui mouille le maillot. D’une efficacité redoutable.

Deki Alem

On ne regrette pas d’avoir fait la file (un peu plus d’avoir raté le début de leur concert). Moins flippants que les Bogdanov, moins cheesy que les Bee Gees et moins blonds que les Bros, les frères jumeaux suédois de Deki Alem ont fait danser les pros d’Eurosonic comme des poulets. Accompagnés d’un batteur, les deux frangins qui ont déjà tourné avec Gorillaz ont des beats minimalistes, des flows du tonnerre et un son marqué par le rock et la drum’n’bass.

Bricknasty

Irlande encore. Dublin toujours. Bricknasty est né dans le quartier de Ballymun en 2020 comme un projet de studio pour jeunes confinés. Il s’est rapidement transformé en groupe avec des membres venus des quatre coins du pays. Bricknasty joue avec le jazz, la néo-soul, le hip-hop, le r’n’b et d’autres choses encore. À Groningen, il a proposé un concert au groove, à l’énergie et à la vibe irrésistibles. Difficile de deviner à quoi ressemblera son premier album mais un groupe à garder dans le collimateur. Fous ta cagoule…

Chillera

Du brit rock bruitiste de Love’n’Joy à la minimal wave de Kurs Valüt, sept groupes ukrainiens figuraient cette année à l’affiche d’Eurosonic. Originaires d’Odessa mais basées à Berlin, les filles de Chillera se sont distinguées avec un rock psychédélique qui sentait bon le surf, le dub, les musiques de films et le vent de la mer Noire. Los Bitchos en mieux et sans clavier. Les jeunes femmes préfèrent les instruments traditionnels au son des synthétiseurs.

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