DÉBUT OCTOBRE, LE CHÂTEAU DE PALLANDT, À BOUSVAL, SE TRANSFORMAIT EN HÔTEL DE LA RENAISSANCE POUR LE TOURNAGE DE LA DAME DANS L’AUTO AVEC DES LUNETTES ET UN FUSIL, LE DEUXIÈME LONG MÉTRAGE DE JOANN SFAR.

« Et… Coupez! C’est beau! Ça, ça va dans mon film! » Il est content, Joann Sfar. La scène 43 est bouclée. Dany (Freya Mavor) a réservé deux chambres d’hôtel, « le jeune homme aux yeux noirs » (Elio Germano) toujours collé aux basques, devant un réceptionniste incrédule mais pas trop (Alexandre Von Sivers), témoin inattentif d’un petit jeu de pouvoir entre deux âmes en peine.

Après quelques prises, le réalisateur est parvenu à obtenir de sa comédienne le moment suspendu attendu où elle commence à perdre pied, à tanguer, à basculer dans une hypothétique folie, moment happé avec avidité par le jeune homme à ses côtés dans l’espoir vain de reprendre la main, d’enfin marquer un point. « J’ai l’impression que je deviens… » « … dites-le…. » « …folle… ». Murmure lascif de la demoiselle, quasi abandon, satisfaction du trublion. Mais la voilà qui reprend pied, claque du talon et remonte à la surface. Sourire assuré au réceptionniste. Mais bien sûr qu’elle la prend, la chambre, et même une deuxième pour le crabe à côté. Lequel, dépité, tentera encore une chance inutile dans la scène suivante, rasant les murs de l’escalier, rasant sa compagne de route. C’est-à-dire qu’il aurait bien aimé, lui, qu’il n’y en ait qu’une, de chambre. Et qu’elle lui frotte le dos? lui soufflera-t-elle encore ironique, perchée sur d’impossibles escarpins –« pas pour la rendre sexy mais pour la mettre en danger« , explique le réalisateur.

Roman de Sébastien Japrisot, La Dame dans l’auto avec des lunettes et un fusil est bâti sur des sables mouvants. L’incertain est sa trame, le vague son horizon. L’écrivain n’a pas ménagé son héroïne, qu’il élève cependant au rang de personnage préféré:« Elle ne m’embêtait jamais. Elle ne comprenait rien à ce qui lui arrivait, c’est une chose magnifique chez un personnage, ça fait vrai. » Même enthousiasme chez le réalisateur: « Il y a un certain plaisir à voir un personnage qui est perdu, qui souffre, qui ne sait pas où il va. » Et d’ajouter: « C’est le plaisir des polars. S’il y a un seul plan qui dit autre chose que la crainte de mourir, l’envie de trouver un amour, la nécessité de libérer son âme d’une culpabilité, si on sort un seul moment de problématiques aussi graves que celles de la tragédie grecque ou du roman russe, alors ce n’est plus un polar. Moi, j’aime bien mettre ce sérieux littéraire dans des récits de genre et ne pas avoir peur d’utiliser un coup de flingue, une voiture qui crisse… »

Disney et Buñuel dans la même pièce

Artiste protéiforme, Sfar n’a d’ailleurs peur de rien. Il sait ce qu’il veut et n’en démord pas, d’où sa rareté dans les salles obscures depuis Gainsbourg, vie héroïque. Côté bande dessinée et littérature, les affaires vont bon train, il continue de remplir chaque année les rayons des magasins. Côté cinéma, c’est plus compliqué, l’auteur refusant « d’en rabattre », particulièrement dans ses envies de spectaculaire. Alors, son thriller ou sa « comédie très très provocante« , ce n’est pas encore pour maintenant. Place donc à un exercice étonnant, moins auteuriste que d’habitude puisque c’est un scénario déjà écrit que les producteurs de Waiting for cinéma sont venus lui proposer -peu impressionnés par la précédente adaptation d’Anatole Litvak en 1970 -afin qu’il y colle « sa patte, son univers ». Cela tombe bien, Sfar adore Japrisot. « Je n’ai pas besoin que ce soit mon scénario mais bien mes propres névroses. Ça me plaît parce qu’il y a toutes mes obsessions, il y a une femme, il y a un doute, il y a une culpabilité, la route, la France, avec des outils très américains, du road-movie. Une fille qui passe tout le film à se demander si elle est coupable ou pas, ça me va. « 

Va pour l’adaptation de ce « roman sur la culpabilité des femmes chrétiennes » dont il fera « un film sur les femmes occidentales ». Au casting, des acteurs européens francophones pour les rôles principaux, une Ecossaise vue notamment dans la série Skins et un Italien primé à Cannes en 2010 pour La Nostra Vita. Ajoutez quelques Belges et Benjamin Biolay et vous obtenez « mes stars » d’un réalisateur amoureux.

Au niveau de la mise en scène, ses références n’ont pas changé: « Je suis enfant de Buñuel, Hitchcock ou Fellini, j’ai besoin de prendre des images ou enfantines ou sexuelles, mais qui font rêver quand on est enfant, et de dire autre chose, de jouer avec. » Ce travail passe notamment par le cadre, à la fois net et oblique, et par une succession décalée des images dont la juxtaposition peut mettre mal à l’aise, « un mélange très conscient, comme si je mettais Walt Disney et Luis Buñuel dans la même pièce« .

Si La Dame sera très différent de Gainsbourg, les mêmes fascinations l’habiteront, qui sont aussi celles de Japrisot: « C’est vrai que j’aimais bien l’adolescent que j’étais. Ou, si l’on veut, ce que j’aime bien de moi, c’est l’adolescent que j’étais. Si ce que j’écris me le fait retrouver, ou redevenir, c’est du temps moins péniblement et moins bêtement gaspillé. » L’écho n’est pas loin, qui renvoie à Sfar: « Je me dis que je travaille pour un petit spectateur qui a 14-15 ans aujourd’hui et qui a envie d’être amoureux des actrices, comme quand j’avais jamais eu de relations sexuelles. » Résultat attendu pour l’été 2015.

TEXTE Siham Najmi

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