ALORS QUE DÉMARRE LA GRAND-MESSE PUBLIQUE ET PROFESSIONNELLE D’ANGOULÊME, LA BANDE DESSINÉE N’EN FINIT PLUS DE PARLER D’ELLE-MÊME. UN PHÉNOMÈNE, ENTRE MISE ENABYME ET NOMBRILISME, QUI LUI EST PROPRE, MAIS VASTE.

C’est l’histoire d’un dessinateur de BD en panne d’inspiration, prisonnier d’une série dont il a du mal à assumer le succès surprise. Un auteur venu de la BD dite d’auteur et désormais (re)connu dans le monde de la BD dite commerciale. Un dessinateur pressé par son éditeur, délaissé par son scénariste, asphyxié par les séances de dédicaces et déprimé par les présentations à la presse… Une présentation à la presse très similaire à celle du jour, à laquelle Sylvain Runberg et Olivier Martin, deux auteurs de BD, semblent se plier de bonne grâce, peut-être sous la pression de leur éditeur, connu pour ses BD dites commerciales mais publiant aujourd’hui un one-shot, le leur, digne d’une BD dite d’auteur… Une telle mise en abyme entre le quotidien des auteurs de Cases Blanches et Cases Blanches, on peut en trouver presque à chaque planche de ce qui est, aussi, un convaincant thriller psychologique: Vincent Marbier, l’auteur en question, ne va pas oser avouer cette panne créative et va inventer un vol de planches plutôt que d’avouer leur inexistence au reste de la chaîne du livre et de la BD. Une chaîne décortiquée ici comme rarement dans une BD. Et même dans une BD qui parle de BD. Comme beaucoup, et comme de plus en plus.

« S’il s’agit d’abord d’une fiction sur un gars prisonnier de son mensonge, j’avais envie depuis longtemps d’une histoire qui montre ce qu’il y a derrière cette image tronquée de l’auteur solitaire« , explique Sylvain Runberg, scénariste de ce Cases Blanches mais aussi d’une tripotée d’autres albums ou séries, dans de multiples genres et pour maints éditeurs, et qui sait donc de quoi il parle. « On connaît peu toute la chaîne qui entoure les auteurs: éditeurs, attachés de presse, responsables marketing, diffuseurs, libraires… Toute une chaîne industrielle, où rien ni personne n’est tout noir ou tout blanc, mais très dépendante de la situation des auteurs, de plus en plus précarisés. »

Difficile donc de ne pas voir derrière les dessins du dessinateur Vincent Marbier la « vraie » vie de Runberg et de Martin, entre pression, hésitation, paupérisation et cocktails inutiles, où des auteurs indés et bourrés viennent vous cracher leur fiel, avant d’eux-mêmes dès le lendemain signer pour un album mainstream… Dans Cases Blanches, on en croise beaucoup, la plupart sous pseudos, d’autre pas: « Des auteurs bourrés qui font scandale, bien sûr qu’on en a croisés. Et la rencontre avec Emmanuel Lepage dans le train, elle a existé par exemple. Il y a beaucoup de clins d’oeil, assimilables par le lecteur, et l’envie de paraître réaliste. Mais tout n’est bien sûr que fiction », confirme le duo. Dans un sourire complice.

Entre tradition et légitimité

Runberg etMartin rejoignent en réalité avec Cases Blanches une (très) longue liste d’auteurs qui ont fait de leur métier un sujet. Sous des aspects et des angles certes très vastes (voir nos encadrés), la BD aime plus que d’autres se regarder, se jauger ou s’expliquer. Une tradition qui s’explique par ses origines -née dans la presse, la bande dessinée a très vite eu besoin d’animation, tel Gaston dans la rédaction de Spirou- mais aussi par une quête parfois inconsciente de légitimité: s’il n’y a pas d’art sans livres dessus, la BD se devait de compter ses propres ouvrages d’histoires ou de commentaires.

TEXTE Olivier Van Vaerenbergh

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