Critique | Livres

[la bd de la semaine] Moi, menteur, d’Antonio Altarriba et Keko

Olivier Van Vaerenbergh
Olivier Van Vaerenbergh Journaliste livres & BD

Les Espagnols Antonio Altarriba et Keko bouclent leur trilogie du Moi avec un polar politique d’une noirceur absolue dédié au mensonge.

« Nous sommes tous des masques. Nous n’avons pas de personnalité, mais un ample éventail de personnages que nous adoptons selon les situations… Il n’y a pas un moi, seulement des circonstances. » Ainsi s’exprime, telle une clé de lecture de ce Moi, menteur et de cette trilogie du Moi, Adrian Cuadrado, roi des menteurs, et qui sait, bientôt du Pays basque et de l’Espagne. L’homme est en effet le conseiller en communication du Parti Démocratique Populaire actuellement aux affaires, et surtout corrompu jusqu’à l’os – il ne sera ici question que de magouilles, de malversations et des moyens pour en sortir et rester, comme toujours, au sommet de l’échiquier politique. À ce petit jeu, Cuadrado est le maître, menteur de vocation, autant par profession que par nécessité privée -il mène évidemment une double vie, entre son épouse Vitoria et sa maîtresse Madrid. Mais trois têtes tranchées de mandataires politiques trouvées dans des bocaux vont peut-être mettre à mal sa petite science du mensonge: entre une opération de « gaywashing » pour le Parti et un monologue parfois très solennel -« Change le nom de la chose, et la chose change. Cesse de la nommer, elle disparaît. Tu peux la créer ou la détruire, comme Dieu. (…) Pour être cru, mieux vaut mentir que s’aventurer spontanément à raconter la vérité« , cet acte de « justice artistique contre injustice politique » comme il est revendiqué, pourrait le mener, soit à sa perte, soit au sommet. Mais est-ce finalement très différent?

Entre fiction et réalité

Trois ans après Moi, fou, qui traitait des impostures médicales, et sept ans après Moi, assassin, qui abordait les impostures artistiques, voilà donc un Moi, menteur consacré aux impostures politiques qui vient magnifiquement boucler la boucle de ce grand-oeuvre anxiogène et érudit écrit par Antonio Altarriba, lui-même habitant de Vitoria, la capitale du Pays basque espagnol qui semble le véritable personnage principal de cette trilogie faisant rimer noirceur, polar, politique-fiction et ambiances lovecraftiennes. La trilogie du Moi y revient sans cesse, proposant en creux le portrait d’une Espagne (et une Europe) contemporaine gangrenée par ses maux et dont personne ne sort indemne -Cuadrado croisera même Mischaël Modrikamen à Bruxelles, désormais directeur de « The movement », le think tank d’extrême droite lancé en Europe par Steve Bannon, âme damnée et ex-conseiller politique de Trump. Un mélange de fiction et de réalité qui fait tout le sel et le venin de ce dernier opus, après le dessin tout en aplats de noir de Keko, madrilène sous influence argentine. Avec, cette fois, quelques pointes jamais innocentes de vert, couleur du fiel et du mensonge.

Moi, menteur

D’Antonio Altarriba et Keko, éditions Denoël Graphic, 168 pages. ****

[la bd de la semaine] Moi, menteur, d'Antonio Altarriba et Keko

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