À LA SUITE D’ENFANTS DES RUES TENTANT D’ÉCHAPPER À LEUR CONDITION PAR LA MUSIQUE, MARC-HENRI WAJNBERG PREND LE POULS DE LA CAPITALE CONGOLAISE, DONT IL CAPTE LA VIBRATION TOUTE SINGULIÈRE, ENTRE VIOLENCE, PASSION ET ÉNERGIE…

Le cinéma, dit-on, est parfois question d’heureux accidents. Et Kinshasa Kids, le nouveau long métrage de Marc-Henri Wajnberg, n’échappe certes pas à la règle, qui est le fruit d’un concours de circonstances peu banal. Parti au lendemain d’un projet chinois avorté pour la capitale congolaise afin de filmer des musiciens locaux en panne de visa, le réalisateur belge prend la réalité locale comme « un vrai coup de poing dans la gueule ». Ce qui devait être un documentaire musical change alors de nature: si les impressions se superposent, tumul-tueuses, celles laissées par les enfants des rues, omniprésents, et la musique composant la bande-son de Kinshasa, sont les plus persistantes. Et de bientôt les associer dans une fiction en prise sur la vibration toute singulière de la capitale congolaise. Pour Wajnberg, le projet marque un retour au long métrage de fiction, 20 ans tout juste après le remarqué Just Friends. Entre-temps, le cinéaste, qu’avait révélé la série des Claps dans les années 80, a réalisé le court Le réveil, avant d’adopter un profil de documentariste avec des films comme Evgueni Khaldei, photographe sous Staline, ou Oscar Niemeyer, un architecte engagé dans le siècle. Ce nouveau film s’est, pour sa part, décliné en deux temps: « J’aime m’immerger dans mes projets. Pour faire le portrait de la ville, il fallait que j’y vive. J’ai donc résidé dans tous les quartiers de la cité, une expérience qui a duré deux ans, pendant lesquels je m’y suis rendu six fois. » Et une période notamment mise à profit pour réaliser, pour Arte Web, un Portrait de Kinshasa de 26 minutes, dans le cadre de la collection « Afrique: 50 ans d’indépendance ». « Cela m’a permis de tester une façon de tourner, parce que évidemment, impossible de gérer quelque chose là-bas… » Casse-tête quotidien dont Kinshasa Kids donne, d’ailleurs, plus d’un aperçu, cocasse à l’occasion.

La beauté dans la misère

Inscrit à « l’exacte limite entre le docu et la fiction », le film, kaléidoscopique, prend la mesure d’un réel violent, celui des « shégués », ces milliers d’enfants livrés à la rue, sous l’accusation de sorcellerie. « Les relations assez libres au Congo font que les couples se séparent. Bien que ce soient elles qui travaillent, les femmes n’ont pas d’argent, et ne peuvent subvenir aux besoins de leur enfant. Ce dernier doit donc vivre avec le père qui s’est remis avec une nouvelle femme ne voulant pas de l’enfant de l’autre. Tout est alors prétexte pour diaboliser l’enfant et dire qu’il s’agit d’un sorcier. » S’ouvrant sur une scène d’exorcisme éloquente –« je ne voulais pas éluder la violence »-, Kinshasa Kids va ensuite s’attacher plus particulièrement à huit de ces « shégués » (sélectionnés parmi les quelques centaines d’enfants ayant participé au casting), qui vont tenter d’échapper à leur condition en formant un groupe, « Le Diable n’existe pas ». « Ce qui frappe, à Kinshasa, c’est la violence et l’énergie, l’envie de s’en sortir, poursuit le cinéaste. Il y a des projets et, partout, de la musique. Cette énergie musicale, les chansons qui sont véhiculées retracent un peu leurs difficultés. Les deux me paraissaient liés. » Et de faire converger alentour une mosaïque de destins, en une orchestration idoine.

« J’aime ces gens et leur force, et c’est ce que j’ai voulu que l’on ressente avec Kinshasa Kids. Il ne s’agit pas d’un film visant à montrer la misère, mais bien la beauté et l’énergie dans cette misère. » Et ayant, à ce titre, valeur de témoignage, et plus encore. Dans un horizon voilé d’incertitude, l’aventure n’en est d’ailleurs pas restée là pour certains de ses protagonistes, puisque deux des enfants ont été réinsérés depuis avec succès. Quant à Bebson de la rue, l’incroyable musicien adulte les prenant sous son aile, il a enregistré son album -histoires à suivre. Wajnberg, pour sa part, s’apprête, à défaut de monde parfait, à tourner The Perfect Movie

ENTRETIEN JEAN-FRANÇOIS PLUIJGERS, À VENISE.

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