Eric Cantona évolue à l’ombre de sa légende dans Looking for Eric, de Ken Loach, où il vient à l’aide d’un fan, postier traversant une mauvaise passe.

Entre Cantona et le cinéma, il y a comme une évidence. A la beauté du geste technique, le footballeur vedette des années 80 et 90 a d’abord ajouté l’attitude, marque (même inconsciente) des stars. Et puis, bien sûr, le verbe, qui l’a fait entrer dans la légende. Pas ce « sac à merde » finalement fort commun adressé à Henri Michel, sélectionneur de l’équipe de France, un soir de dépit; non, l’infiniment poétique, voué à marquer durablement les esprits, façon « Quand les mouettes suivent le chalutier, c’est parce qu’elles pensent qu’on va jeter des sardines à la mer », asséné, un jour où on lui demandait des comptes, à un parterre de journalistes médusés, avant de prendre congé sans autre explication, pas mécontent de l’effet produit.

Cette scène, authentique et imparable comme une reprise de volée, elle figure en toute fin de Looking for Eric, le film que Ken Loach vient de consacrer à Cantona et à sa légende (voir critique en page 28). Eric the King, comme on le surnomma à l’époque de sa splendeur footballistique, y joue son propre rôle, à distance toutefois. Celle qui permet, à l’occasion, une salutaire dose d’autodérision – on en veut pour preuve les nombreux « cantonismes », comme l’on dit aphorismes, émaillant le dialogue, et qu’il énonce avec un sérieux imperturbable -; celle, aussi, qui en fait, en quelque sorte, l’ange gardien d’un fan traversant une mauvaise passe. Du sur mesure, sans doute, mais plus encore un rôle venu confirmer que Cantona est bel et bien taillé pour le grand écran, ce que laissait déjà entrevoir Le bonheur est dans le pré, de Chatiliez, en 1995, suivi de L’outremangeur, de Thierry Binisti, huit ans plus tard, avant que l’aspirant acteur ne s’en aille chercher un Deuxième souffle auprès d’Alain Corneau.

This is England

Signe, du reste, que c’est du sérieux, Cantona, ne se contente pas, cette fois, d’aimanter la caméra, il est encore le producteur délégué d’un film dont il fut aussi l’instigateur. « J’avais couché sur le papier un résumé de mes expériences avec les fans, explique l’acteur, que l’on retrouve, décontracté et affable, dans le salon du cinéma Panthéon, à deux pas de la Sorbonne. Mon frère (son partenaire au sein de Canto Bros productions) et moi avions envie de développer cette histoire, et nous nous sommes tournés vers Pascal Caucheteux, de Why Not, et Vincent Maraval, de Wild Bunch. S’agissant d’un récit tournant autour de mes relations aux fans, nous étions d’accord sur le type de film que nous voulions faire, mais aussi sur le fait qu’un Anglais devait le réaliser. Ce qui entoure le football en Angleterre est très particulier: il n’y avait qu’un Anglais pour le comprendre, et encore fallait-il qu’il soit passionné de football et ait vécu cela de l’intérieur. Quelqu’un comme Ken Loach, qui était le premier nom de notre liste. Nous l’avons contacté, et il nous a rencontrés, en compagnie de la productrice Rebecca O’Brien, et du scénariste Paul Laverty. L’histoire l’intéressait, il pensait pouvoir s’en inspirer, mais il a été honnête, et nous a dit que, si au bout de trois semaines, ils se trouvaient dans une impasse, ils arrêteraient. Une attitude hyper saine. »

Etre et se regarder être

Scénariste attitré de Ken Loach depuis Carla’s Song, en 1996, Laverty trouvera la clé, amenant le film sur le terrain fécond de la comédie à ancrage social. De quoi satisfaire le réalisateur, désireux de revenir à quelque chose de plus léger, après The Wind that Shakes the Barley et It’s A Free World, tout en restant fidèle à l’essence de l’histoire imaginée par Eric Cantona. « Il y a, dans Looking for Eric , une dimension sociale et humaine, approuve ce dernier . Ce sont des fans de foot, mais leur horizon ne s’arrête pas là. C’est aussi une histoire d’amour, où se pose la question du comment communiquer. Le cinéma tel que j’ai envie de le faire n’est pas un cinéma pour fuir le quotidien, c’est un cinéma pour se nourrir, comme une exposition de peinture ou de photo.  » Noble intention qui n’empêche aucunement le film d’avancer, au demeurant, les arguments d’un « fee -good movie », assorti, pour la circonstance, d’une conscience et d’une solidarité de classe. On est chez Ken Loach, et c’est fort bien ainsi.

S’il était familier du cinéma de l’auteur de Riff-Raff et autres Raining Stones, le tournage n’en a pas moins eu une saveur toute particulière pour Cantona. « Sur mes autres films, je pouvais me cacher derrière un personnage, explique-t-il encore. Mais ici, je devais être moi-même. Ce n’est ni plus difficile, ni plus facile, c’est surtout particulier. En général, je travaille longtemps à l’avance et, quinze jours avant le tournage, je suis tout à fait à l’aise avec le personnage. Ici, deux jours avant, je n’y étais pas encore – j’ai dû poser énormément de questions à Ken Loach. L’approche était différente, surtout du point de vue psychologique: c’était comme être et se regarder être, dans une fiction. Une expérience étrange, et intéressante. »

A se regarder être et avoir été, Eric Cantona acteur s’est-il reconnu dans Eric Cantona footballeur? « Cela se rejoint, dans le sens où je n’ai jamais calculé. Jamais, avant un match, je ne me suis dit: « si je marque, je vais célébrer le but de telle façon ». Au contraire, je me suis battu contre cela, parce que ma conviction est qu’il est important de communiquer avec l’énergie ambiante. J’ai toujours essayé qu’il y ait un échange, une harmonie. Je suis très animal: quand on a la possibilité de vivre les choses intensément, il ne faut pas s’en priver. Et c’est aussi une façon de communiquer, de les faire vivre aux autres. »

Un bonheur partagé, en somme. Devrait-il d’ailleurs choisir un souvenir parmi les images qui composent son riche album de footballeur, qu’il préférerait une passe décisive aux nombreux goals d’anthologie qu’il planta pourtant – le film en montre quelques-uns, venus attester qu’à sa façon, le foot est aussi un art. Autant dire qu’il se retrouve aussi résolument dans les valeurs affichées par Looking for Eric: « La réunion des faibles, la solidarité des fans entre eux, je trouve cela magnifique. » Quant à l’évolution du foot en sport business, tenant les supporteurs de base éloignés des stades – dérive joliment épinglée dans une scène de bistro -, Cantona a bien son idée sur la question. « C’est la quantité au détriment de la qualité du fan », regrette l’ex-footballeur. Avant d’ajouter: « Mais ce n’est pas propre au football, malheureusement. On vit dans un monde où on peut manger n’importe quel fruit ou légume, conservé en chambre froide, à toutes les saisons, mais où il est pratiquement impossible d’encore en manger un qui soit bon. On produit, produit, produit, au détriment de la qualité. »

L’entretien touche à sa fin. Avant de prendre congé, on ne résiste pas à la tentation: au fait, les mouettes? « Tout le monde a essayé de trouver un message dans ces mots, un sens à cette phrase, alors que pour moi, il n’y en avait pas. Mais voilà. Tout peut avoir un sens, et de tout, on peut faire quelque chose…  » l

Rencontre Jean-François Pluijgers, à Paris.

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