Philippe Elhem
Philippe Elhem Journaliste jazz

A pas de géant – John Coltrane dans sa dernière ligne droite invente le jazz encore à venir. Ce nouveau coffret en témoigne de façon éloquente. 1965, année sismique.

« The Impulse! Albums: Volume Three »

Distribué par Verve (Universal).

Parallèlement au passage des albums Impulse! de John Coltrane en catégorie économique via la collection Originals (1), Verve propose des coffrets chronologiques où ils se trouvent regroupés par cinq. Le volume trois, dernier en date, avec The John Coltrane Quartet Plays (Impulse! A-85), New Thing at Newport (A-94), Ascension (A-95), Kulu Sé Mama (A- 9106) et Meditations (A-9110) se concentre sur la production de 1965, une année charnière d’une richesse sans pareille qui voit le saxophoniste entamer la dernière phase de sa geste musicale en changeant à nouveau l’orientation de sa musique pour dés-ormais se tourner ouvertement vers l’avant-garde qu’il n’a cessé de tutoyer depuis le début des années soixante.

Son intérêt pour les musiques d’Ornette Coleman, de Cecil Taylor et d’Albert Ayler – son frère en mysticisme -, le pousse irrésistiblement à rompre avec tout ce qui le rattache encore aux paramètres classiques du jazz (mais jamais à ce qui fait l’identité profonde du musicien: lyrisme et recherche de la transe) que sont structure, rythme, mélodie, division entre solistes et accompagnateurs. A cet égard The John Coltrane Quartet Plays se pose comme le lieu de la transition. Aux deux standards qu’il a été emprunter, après My Favorite Thing, à la comédie musicale Mary Poppins ( Chim Chim Cher-Ee) ou au film de Joseph Losey Le Garçon aux cheveux verts ( Nature Boy) s’opposent deux compositions originales ( Brazilia et Song of Praise). Pourtant si Chim Chim Cher-Ee reste le classique véhicule modal pour soprano, les trois autres, joués au ténor, sont autant de coups de tonnerre, le plus radical étant le traitement apporté à Nature Boy que le musicien fait imploser de l’intérieur. New Thing at Newport, sur lequel le quartet ne joue qu’un titre (le reste de l’album étant consacré au groupe d’Archie Shepp) est plus transitoire même s’il permet d’entendre le fameux One Down, One Up dans lequel McCoy Tyner prend un long solo linéaire avant que Coltrane ne le conclut avec une fureur qui laisse l’assemblée médusée.

MAGMA BRÛLANT

Ascension qui lui succède est l’un des sommets de la carrière du musicien. Pour cette improvisation collective d’une quarantaine de minutes (les deux versions enregistrées lors de la session figurent sur le disque) fédérée autour d’un thème simplissime d’où se détache un soliste après l’autre, Coltrane convoque quelques fleurons de la nouvelle génération free (Marion Brown, Pharoah Sanders, Archie Shepp, John Tchicai, Dewey Johnson, etc.) et nous offre un magma brûlant qui n’a rien perdu aujourd’hui de son pouvoir de subversion. Bien que l’on retrouvera encore le quartet classique (mais rarement livré à lui-même) dans les deux disques suivants, l’intense suite baptisée Meditations ou le percussif Kulu Sé Mama aux parfums africains appuyés, 1965 sonne le glas du combo formé en 1961 avec le départ d’Elvin Jones et, bientôt, celui de McCoy Tyner. Une page se tourne, une autre s’ouvre, douloureuse et fulgurante, qui ne se refermera qu’avec la mort de Coltrane en juillet 1967 à l’âge de quarante ans.

(1) Sans bonus – puisque Originals. www.johncoltrane.com

http://home.att.net/~dawild/john_coltrane.html

Philippe Elhem

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content