Louis Danvers
Louis Danvers Journaliste cinéma

LA RÉALISATRICE DE GRBAVICA CONFIRME DANS NA PUTU SON ART DU PORTRAIT FÉMININ… ET FÉMINISTE, FACE À UN ISLAM RADICAL QUI MONTE EN PUISSANCE, EN BOSNIE AUSSI.

Son discours intelligent et précis, ses traits fins et expressifs, ses lunettes d’intello, signalent une femme de tête. Ses films au fort impact émotionnel montrent qu’aux idées, Jasmila Zbanic ajoute dans son cinéma une puissance évocatrice évitant les pièges du film à thèse. La jeune réalisatrice de Grbavica, Ours d’Or au Festival de Berlin et plongée bouleversante dans l’expérience d’une jeune fille née des exactions de la guerre, explore dans Na Putu ( lire la critique page 31) les relations entre une femme et son mari gagné aux thèses fondamentalistes dans le Sarajevo d’aujourd’hui.  » Nous sommes issus d’une société multiculturelle, explique la réalisatrice, j’ai grandi non seulement parmi des musulmans mais aussi parmi des chrétiens orthodoxes, des catholiques et des juifs. Sous le régime socialiste, la religion n’était pas interdite, mais on nous apprenait à l’école que c’est l’opium du peuple… Depuis la fin du socialisme, et de la guerre, les gens se montrent de plus en plus religieux. Et certains d’entre eux prennent une voie radicale, dans l’Islam surtout. Luna et Amar, le couple de mon film, ont la même religion, mais lui pousse vers la droite, et elle vers la gauche. Ce n’est pas la foi qui les sépare, c’est l’incapacité de communiquer quand l’un des deux croit que sa vérité est unique et exclut celle de l’autre. Le fait qu’ils continuent à s’aimer ne peut pas sauver une relation où l’un veut imposer à l’autre une manière d’être, de vivre et de penser, qu’elle ne peut accepter. »

Identités

Faute d’acteurs convenant idéalement aux rôles principaux dans sa Bosnie natale, Jasmila Zbanic a dû trouver ses interprètes en Serbie et en Croatie… Ce qui lui valut les reproches de la presse nationaliste et de comédiens bosniaques jaloux! Une autre indication des crispations identitaires travaillant la société d’un pays  » où beaucoup ressentent un lien étroit avec l’Europe et ses valeurs, mais où beaucoup d’autres s’en détournent pour un retour aux sources supposées d’une identité prenant la religion pour principal -et parfois unique- critère« , commente une réalisatrice qui avoue s’être  » retenue de trop imposer ses idées dans le film, pour que les personnages soient plus que des pensées ambulantes, pour qu’ils soient des êtres de chair et de sang.  » Elle reconnaît que, confrontée au discours des wahhabites durant ses recherches, il lui fut parfois  » difficile de maintenir cette ouverture du regard face à des gens qui n’en manifestent aucune pour les autres. » Si Na Putu évite tout manichéisme dans l’exposition des coutumes adoptées par les fondamentalistes, Zbanic n’en cache pas, en entretien, le sentiment qui est ressorti de ses conversations avec eux.  » Pour la plupart, ce sont des gens très tristes, désertés par l’amour, beaucoup se forçant d’ailleurs à répéter des choses auxquelles ils et -surtout- elles semblent avoir peur d’échapper car le regard des autres membres de la communauté est là pour les en empêcher. Un grand nombre d’entre eux ont été des jeunes gens très libres, portant piercings et défiant la société. Ils semblent avoir réinvesti leur marginalité dans une autre forme de défi. Tant de jeunes femmes naguère très libres prennent aujourd’hui le voile pour protester contre les valeurs occidentales. J’ai été très choquée de constater que beaucoup sont des femmes éduquées, venues à haïr leur propre liberté parce que cette liberté s’incarne dans une société occidentale qu’elles haïssent…  »

LOUIS DANVERS

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