Serge Coosemans

Iriez-vous au cinéma comme les Romains allaient au Colisée?

Serge Coosemans Chroniqueur

Un portrait dans le New Yorker d’Adam Fogelson, décideur hollywoodien typique de ces années douteuses que traverse actuellement le cinéma, ferait une excellente base pour un remake de The Player, estime Serge Coosemans. Pitchs débiles et marketing mongolo, pop-culture et carambolages, c’est le Crash Test S01E29.

« Depuis quelques années, Hollywood ne jure plus que par les suites, les reboots, les mashups, les sequels, les prequels. Un emballement qui ressemble un peu trop à un plan marketing paraphé par les actionnaires pour être honnête », écrivait la semaine dernière dans Focus Laurent Raphaël.

C’est un euphémisme: Laurent est beaucoup plus mesuré que moi dans ses jugements. Pour ma part, je conchie ce qu’est aujourd’hui Hollywood. Pour le moment, le seul film sorti cette année que j’ai vraiment aimé est Knight of Cups de Terrence Malick. Ce n’est pas son meilleur, ce n’est même pas très bon, mais au moins est-on hanté par les images, la musique, les sensations de perte et d’isolement psychologique. Au moins a-t-on l’impression de voir quelqu’un s’exprimer, partager une vision, tenter d’être un minimum original. Ça rappelle bien un peu la série Entourage, Bret Easton Ellis et Instagram, mais ce qui m’y plaît, c’est que ce n’est pas un faux remake, comme Spotlight, qui en fait des caisses pour ressembler à du Sidney Lumet des années 80 ou The Revenant, qui reprend non seulement la même histoire que Man in the Wilderness mais s’accapare aussi des bouts de Jeremiah Johnson et pille les pages les plus allumées de Cormac Mc Carthy. « I see dead movies », suis-je tenté de dire, et le remake -officiel, déguisé ou même volé- est tellement partout que je ne serais pas très étonné qu’Hollywood finisse même par carrément produire des nouvelles versions de ces films qui moquaient jadis le système hollywoodien, comme The Player de Robert Altman et Swimming with Sharks de George Huang. C’était d’ailleurs déjà un peu le cas de Birdman, en fait…

Le scénario de ce Player 2020 pourrait s’inspirer d’un portrait d’Adam Fogelson paru dans le New Yorker du 11 janvier 2016, étalé sur 12 pages et signé par le journaliste Tad Friend. Fogelson, 48 ans, est un décideur typique du Hollywood contemporain. Sa principale angoisse, dit l’article, est de mourir sans avoir laissé derrière lui une forme de monument. Ce quasi sosie de Steve Carrell dans The Office est considéré par ses pairs comme plutôt performant, mais à mes yeux, ça n’en reste pas moins un sacré jeanfoutre. Fils d’un ancien directeur du service marketing de Columbia Pictures, dont il a évidemment « beaucoup appris », Fogelson a pour règle impériale de « n’accepter que des films qu’il sait comment vendre ». Or, avoue-t-il, il n’aurait pas pu marketer Vol au-dessus d’un nid de coucou et Kramer contre Kramer, pourtant deux des films qu’il aime le plus au monde. Mieux, Fogelson avance sans la moindre honte qu’il aurait torpillé la production de Blade Runner, au motif que « la noirceur et la science-fiction, c’est très dur » et Fight Club, « parce que voir des mecs se foutre sur la gueule deux heures durant, c’est beaucoup demander au public ». Il aurait en fait même refusé The Shawshank Redemption car « un innocent qui s’évade de prison, c’est en soi un trop gros spoiler ». Je n’invente rien.

Le nounours qui rote

Comme un prince, Adam Fogelson a par contre marketé Ted, l’histoire d’un nounours magique qui rote. Le premier volet a été un succès, le second pas, mais d’un strict point de vue marketing, Fogelson n’en considère pas moins aujourd’hui « le concept » Ted comme un « cousin distant de Coca-Cola ». Ce n’est pas son seul monument. Avec STX, sa boîte, ils travaillent sur des films à venir encore plus cons, hallucinants de platitude. Prenons Unmanned, vendu comme un « Soldat Ryan cinq minutes dans le futur ». C’est la Troisième Guerre mondiale et Keanu Reeves, accompagné d’un robot, doit aller chercher son frère paumé derrière les lignes ennemies. Dans le script original, il s’agissait de Hong-Kong mais vu que le film doit pouvoir se vendre en Chine, Fogelson aimerait que Chinois et États-Unis y soient alliés contre un ennemi commun et l’action déplacée dans un pays indéterminé, de préférence où tourner coûte moins cher. STX travaille aussi sur Mile 22, le prochain Peter Berg. Là aussi, le scénario s’est offert un retournement de pantalon du plus bel effet. À l’origine, c’était en effet l’histoire d’une agente de la CIA experte en arts martiaux raccompagnée par un flic indonésien (Iko Wais, le chorégraphe de The Raid 2) à l’aéroport de Jakarta. Seulement voilà, 35 kilomètres avant le terminal (22 miles, donc), leur tombait sur la poire toute la pègre locale revancharde.

Entretemps, il se fait que Mark Wahlberg a accepté ce qui était sur papier le troisième rôle du film, celui du bad guy, du Parrain. Pas très emballé à l’idée de vendre un film où Wahlberg n’aurait que le troisième rôle, après une femme et un non-caucasien en plus, Fogelson a décidé de tout faire réécrire. Mile 22 est donc désormais l’histoire d’un super-méchant qui est au fond une brave bite et cherche la rédemption. Vers la fin de Mile 22, c’est pourquoi Marky Mark risque bien de se retourner contre ses sbires et qu’il va bien entendu laisser vivre Miss CIA et Iko Wais; histoire qu’ils se retrouvent tous pour de futurs épisodes. Parce que Fogelson a beau penser que le pitch de The Shawshank Redemption est un gros spoiler, ça ne l’empêche pas de préférer s’occuper de productions fabriquées pour être des pilotes de franchises.

Asa Butterfield dans The Space Between Us.
Asa Butterfield dans The Space Between Us.© DR

En terre trop connue…

Le scénario de notre Player nouvelle formule ne devra pas non plus oublier qu’outre les suites, reboots, mashups, sequels, prequels, remakes et pilotes de franchises, l’une des grandes spécialités hollywoodiennes du moment consiste aussi à piller les idées exploitables d’oeuvres jugées inadaptables. Ça, ça m’a tout l’air d’être le cas de The Space Between Us, un autre film à venir chipoté par Fogelson et STX, l’histoire d’un jeune type né et élevé sur Mars et ramené sur Terre après la mort de son astronaute-colon de mère. Sur ce plancher des vaches pour lui inconnu, il se heurte alors au racisme anti-martien et tombe bien évidemment amoureux d’une lointaine descendante de Juliette Capulet un peu plus sympa que le reste de l’Humanité. Dans l’article du New Yorker, Fogelson se dit ravi d’un scénario qui a ému sa fille et est de nature à faire larmicher les ados mais cinq minutes, pas plus, car il ne faudrait tout de même pas trop profondément heurter les gros émos millenials.

Si The Space Between Us n’a pas l’air d’avoir de grandes chances de devenir un monument qui permettra aux gens de se rappeler de Fogelson après sa mort, il ressemble a priori par contre très fort à une version édulcorée du bouquin Stranger in a Strange Land, publié en 1961 par Robert A. Heinlein, et considéré par la Librairie du Congrès comme « l’un des 88 romans ayant façonné l’Amérique ». Bref, à défaut de construire des bâtiments pour l’éternité, on peut toujours en faire des copies de sable. Ne soyons toutefois pas trop durs: si plus d’un demi-siècle après sa publication, Stranger in a Strange Land reste considéré comme inadaptable au cinéma, ce n’est pas seulement parce dans le bouquin, le sexe est libre et la religion complètement démontée. C’est que le roman brasse surtout des thèmes adultes. Or, comme beaucoup de ses pairs de l’industrie hollywoodienne, Fogelson estime en fait que le public (essentiellement jeune) va au cinéma comme « les Romains allaient au Colisée », c’est-à-dire pour rire, gueuler et s’émouvoir facilement. Pour des gars comme Fogelson, il est acquis que les histoires les plus sophistiquées, de nature à faire réfléchir, étonner et bouleverser, se suivent désormais à la maison, via la télé, la tablette et le smartphone. En séries, mini-séries et films proposés par HBO et Netflix, en attendant qu’Amazon, Google et Facebook ne se mettent également à produire du contenu, ce qui ne va en principe plus tarder. C’est dans ce monde-là, pas à Hollywood, que Stranger in a Strange Land serait chez lui.

Ce qui excite des gens comme Fogelson, ce ne sont d’ailleurs plus les films en eux-mêmes, ce qu’ils montrent, ce qu’ils racontent, ce qu’ils transmettent. Ces types n’ont aucun mal à admettre que la qualité standard du film hollywoodien a considérablement baissé, c’est même déclaré noir sur blanc dans l’article du New Yorker. Ce qui les fait se lever le matin, ce sont les nouveaux marchés à conquérir (Chine, Inde, Moyen Orient…), batailler pour acquérir la propriété intellectuelle d’un univers créé par un auteur de bandes dessinées ou de romans pour ados et réduire les coûts de production pour générer une meilleure rentabilité. Ce que nous, public un peu plus difficile et critique, appelons « qualité », ce ne sont plus leurs affaires. Dans tous les sens du terme.

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