Le western lui doit son passage (populaire) à la modernité. Le grand cinéaste italien sut allier style et humour, sans oublier une émotion que son lyrisme fit flamboyer comme nulle part ailleurs.

Sous le soleil, les hommes attendent. Patibulaires, mais presque, comme disait Coluche. Ils sont là pour tuer, nous le sentons bien tandis qu’ils prennent possession de la petite gare. Le silence règne, on entendrait voler une mouche. D’ailleurs, on l’entend voler, la mouche, qu’un malfrat observe de son regard glacial. L’écran est large, les visages en gros plan exhibent la sueur, la détermination, la résolution presque détachée propre à ceux qui ont déjà pris des vies. Le temps est comme suspendu, palpable. Dans le lointain, un train s’annonce. Bientôt, la poudre va parler…

La séquence d’introduction de C’era una volta il West ( Once Upon A Time In The West) résume l’essence même de l’apport de Sergio Leone au western. Le réalisme du détail crédible inscrit dans la démesure potentielle d’un lyrisme digne de l’opéra. La noirceur d’un humour aimant la caricature et lié sans doute à la tradition de la commedia dell’arte. L’utilisation du scope en plans serrés sur les yeux, les visages, offrant au paysage humain ce que David Lean sut offrir aux paysages naturels. La dilatation sensuelle du temps, et cette violence qui éclate d’autant plus fort qu’elle a été longuement retardée. Ajoutez l’audace de prendre le genre à rebours – ici le casting du héros par excellence, Henry Fonda, dans un personnage de tueur cynique, abattant jusqu’aux enfants – et vous aurez une idée assez précise de ce que Leone amena, voici une quarantaine d’années, dans un cinéma westernien en baisse de sens comme de popularité. Avec ses contemporains Arthur Penn ( Little Big Man) et Sam Peckinpah ( The Wild Bunch), l’Italien barbu révolutionna un genre qui ne s’en est pas encore remis aujourd’hui.

Un important héritage

Outre l’influence directe exercée sur d’autres réalisateurs italiens contemporains de Leone, la trilogie qui ouvre sa série westernienne a eu un impact énorme sur nombre de jeunes cinéphiles de l’époque, et de la génération suivante. Per un pugno di dollari (1964), Par qualche dollaro in piu (1965) et Il Buono, Il bruto, il cattivo (1966) ont dynamité l’image traditionnelle du genre, avec ses anti-héros qu’interprétait idéalement Clint Eastwood. Ce dernier étant logiquement le premier et le plus fameux des héritiers du génial Italien. Passé à la mise en scène de polars et de westerns au début des années 70, Clint a bien assimilé les influences de Leone et de son autre mentor, Don Siegel, pour trouver son propre style. High Plain Drifter, son premier western, est très léonien dans le fond comme dans la forme. Mais il y a encore des échos de C’era una volta il West jusque dans le crépusculaire et magnifique Unforgiven de 1992 (Leone étant mort en 1989).

Au milieu des années 90, Sam Raimi s’inscrivit lui aussi, de manière plus directement ludique, dans la voie tracée par Leone pour son western The Quick And The Dead, suite flamboyante de variations sur la figure du duel. Et si Walter Hill, un des derniers bons cinéastes ayant fait du western un de ses terrains d’élection, s’inscrit pour sa part nettement plus dans la ligne de Peckinpah, certains de ses cadets se réclament sans ambiguïtés de celle de Leone. Ainsi Quentin Tarantino. Ou son pote Robert Rodriguez, le réalisateur allumé de El Mariachi (1993) et surtout de Once Upon A Time In Mexico (2003). L’héritage du grand cinéaste italien marquera, c’est certain, d’autres metteurs en scène dans le futur. Leone avait en commun avec le Japonais Akira Kurosawa (1) la combinaison féconde de grandeur et de drôlerie, de grain réaliste et de poésie, d’amour du cinéma populaire de genre et d’ambition artistique. Un cocktail créatif qui sera savouré longtemps encore!

(1) Il s’inspira ouvertement du film de samouraï Yojimbo de Kurosawa pour Per un pugno di dollari

Texte Louis Danvers

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content