Ysaline Parisis
Ysaline Parisis Journaliste livres

INÉDIT EN FRANÇAIS, DARCY O’BRIEN JOINT À UN ROMAN D’APPRENTISSAGE SALINGERIEN LA CHRONIQUE FAMILIALE PINCE-SANS-RIRE D’UN HOLLYWOOD BEHIND THE SCENES.

Une vie comme une autre

DE DARCY O’BRIEN, ÉDITIONS DU SOUS-SOL, TRADUIT DE L’ANGLAIS (USA) PAR LAZARE BITOUN, 187 PAGES.

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Grandir à Hollywood, entre un père cowboy star de western et une mère ex-déesse de Broadway… Certaines destinées prêtent plus que d’autres le flanc au romanesque. Prénommé d’après le héros du Orgueil et Préjugés de Jane Austen, Darcy O’Brien (1939-1998) est le fils de George O’Brien et Marguerite Churchill, deux acteurs de films muets ayant tourné avec John Wayne. Avant de publier des essais assez célèbres aux Etats-Unis (Power to Hurt, sur le viol et le harcèlement sexuel des femmes dans une petite ville du Tennessee, ou Two of a Kind, sur les tueurs dits « Hillside Stranglers » dans le Los Angeles des seventies), ce rejeton du star system fomentait à partir de sa naissance atypique ces mémoires romancées, prix PEN/Hemingway à leur sortie en VO en 1978, inédites jusqu’ici en français.

John Ford et James Joyce

C’est avec un sourire grand comme ça qu’on rentre dans cette chronique old school pimentée. Du ranch familial de Malibu (« Casa Fiesta », le bien nommé) en passant par Las Vegas ou Mulholland Drive, on ne s’ennuie pas dans la vie des O’Brien, et non plus dans le livre qui tente d’en embrasser les hystériques soubresauts. Avec un grand sens du comique et du rythme, O’Brien fils fait le portrait en accéléré d’un enfant (lui-même, à n’en pas douter) pourri et précoce dans les coulisses du Hollywood des années 50, racontant comment, à sept ans, il attise déjà le feu des conversations, termine les bouteilles et déclame du Shakespeare pour pimenter les sauteries Martini parentales (« après ça, je regagnais toujours ma chambre sous les applaudissements« ).

Dans une succession de scènes dignes d’un Wes Anderson, O’Brien raconte ensuite, ébouriffant, pince-sans-rire, son admiration puis ses désillusions à l’endroit de ses parents, son apprentissage sexuel (avec un sosie adolescent de Lauren Bacall), ses lectures de Willa Cather, Fitzgerald ou James Joyce, et ses interrogations sur le tour à donner à sa vie. Un roman d’apprentissage salingerien somme toute assez classique, n’était la personnalité foutraque et médiatique des parents de ce nouvel Holden Caulfield, stars en déliquescence dont Hollywood se détourne en même temps que leur propre fils (« Aucun enfant ne se fixe pour but de rejouer la tragédie qu’a été la vie de ses parents, mais il lui faut néanmoins lutter pour écarter tout besoin compulsif de le faire« ). Cette « catastrophe de mère« , d’une part, beauté diabolique fanée et suicidaire enfilant les amants abracadabrants, brûlée au deuxième degré par un plum-pudding dans un chapitre mémorable; ce père jadis acteur pour John Ford ou Murnau (L’Aurore), d’autre part, qui tente de subsister dans un genre de second acte bouleversant de l’usine à rêves US: « Mon père, cette étoile qui ne brillait plus, ce trou dans le firmament, mais pas plus que n’importe quel autre élément céleste, il ne sait pourquoi il ne brille plus: l’innocence du météore. » Reste la réjouissante galerie de personnages secondaires, au rang desquels on croisera, comme si c’était là la chose la plus naturelle du monde, le réalisateur Charles Laughton, Frank Sinatra ou John Ford himself, apparaissant sous la plume de O’Brien comme un lecteur assidu de James Joyce qui ne porte que très rarement des sous-vêtements. Toute une époque.

YSALINE PARISIS

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