Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

retour aux sources – En publiant ses Héros du blues, du jazz et de la country, le pape de l’underground Comix fait ouvre de classicisme.

Par Robert Crumb, aux Editions de la Martinière, 240 pages. Un CD inclus.Il y a quelque chose de pratiquement enfantin dans les dessins de Robert Crumb pour ce recueil d’une centaine de héros musiciens de l’Amérique de la première moitié du vingtième siècle. A l’instar de celui de Frank Stokes, bluesman largement inconnu qui orne la couverture, les visages des musiciens noirs sont brossés de fins traits qui les rendent plus proches de gentils oursons que de démons libidineux jouant la musique de l’antéchrist un bon demi-siècle avant Marilyn Manson.

Même les couleurs chaudes, vives, enrobantes semblent vouloir apaiser le regard. C’est dire combien Crumb a envie de nous les faire aimer ces Blind Lemon Jefferson, Sleepy John Estes, Mississippi John Hurt et autre Son House.

ACTE POLITIQUE

On sent chez lui une compassion infinie pour ces destins souvent avortés, méprisés, victimes d’une violente ségrégation raciale et culturelle. Crumb aime ces auteurs d’une £uvre musicale qui sera, au sens premier, exploitée par la génération blanche des Rolling Stones-Led Zeppelin. La courte notice biographique qui fait à chaque fois face au dessin, est suffisante pour comprendre que jouer du blues dans les années vingt, trente ou quarante, constitue déjà en soi un acte politique de la plus haute importance. Les deux autres chapitres de ce petit format (19 cm sur 15) sont consacrés au jazz et à la country, autres marottes crumbesques.

Comme les autres dessins, ceux-là ont été créés à la manière de cartes postales dans les années 80: dans cette décennie symbole absolu du fric boursier et du krach visuel (remember les mullets?), Crumb s’amarre solidement aux racines, aux ancêtres, aux modèles originaux. Il délaisse également ses femmes aux mamelles protubérantes, ses cartoons ouvertement sexuels et provocants qui ont fait sa gloire dans la contre-culture hippie des sixties.

FAMILLES PATRIARCALES

Il dessine Duke Ellington et son sourire d’homme élégant, Coleman Hawkins, resplendissant sous une gourmande casquette vert pomme ou Benny Goodman, clarinettiste-star fraîchement peigné. C’est l’un des Blancs du livre, les autres sont surtout au rayon country, le plus souvent rassemblés en familles patriarcales aux noms aussi sexy que les Red Patterson’s Piedmont Log Rollers, Hoyt Ming And His Pep Steppers ou Gid Tanner And His Skillet Lickers. Pour trente groupes obscurs sortant d’une Géorgie misérable ou d’un Kentucky boiteux, il y a à peine deux vedettes, la célèbre Carter Family aux trois cent chansons fondatrices et l’éclatant Jimmie Rodgers, mort à trente-six ans après avoir donné naissance à la country-music…

Pour être bien sûr que rien ne nous ait échappé, Crumb insère un CD dans son bouquin: vingt-et-un titres tellement roots qu’ils font ressembler Muddy Waters à Daft Punk. C’est dire…

PHILIPPE CORNET

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