Harry Gruyaert, un photographe qui vous veut du bien

© Harry Gruyaert / Magnum
Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

Harry Gruyaert, immigré depuis les années 60 à Paris, présente les images roots de sa natale Belgique au Botanique: couleurs flamboyantes tutoyant le pop art et noir et blanc inédit du Royaume de papa. Déconcertant et soigné.

Cétait un hiver il y a huit ans, on se retrouvait chez Gruyaert à Paris par la connexion Guy Peellaert: le peintre de Rock Dreams -mort en 2008- et Harry étaient grands amis, trouvant l’un dans l’autre les parfums d’une Belgique à laquelle ils n’avaient jamais vraiment renoncé, même si le conservatisme d’après-guerre dans lequel ils avaient grandi ramenait en mémoire des souvenirs monochromes. « Une chape de plomb où il n’y avait ni les photographes ni les cinéastes que j’aimais. » Harry naît à Anvers en 1941, son père travaille chez Gevaert, entreprise de matériel photographique, et est porté sur la religion: « J’ai déjà dit que chez moi, il y avait Dieu, le Pape et puis mon père (sourire), en même temps vu son métier, j’ai l’impression de toujours avoir été dans la pellicule. Il filmait en 16 mm, testait des nouveaux films, mais, bizarrement, refusait que je devienne photographe, il imaginait que c’était le genre de boulot où on avait forcément une maîtresse. » Malgré tout, le jeune Gruyaert file étudier à l’INRACI à Bruxelles où il se gave de films: la Nouvelle Vague et son noir et blanc charnel font grande impression sur lui. Diplômé en photo, il se barre à Paris dès 1962, dégotte des boulots chez Elle Magazine, réalise des brochures pour Citroën et se fait remarquer par Robert Delpire, éditeur et commissaire d’expositions. « Et puis, je me suis mis à tourner comme directeur photo sur les films de Jef Cornelis pour la BRT (ex-VRT, ndlr), des projets ambitieux, en 35 mm, comme la première de Christo à Anvers, Kassel, la triennale à Milan, aujourd’hui réédités en DVD. Mon vrai désir était de devenir réalisateur mais je n’étais pas très doué pour l’écriture de scénarios ou la recherche d’argent. S’il y avait eu à l’époque les facilités du digital actuel, j’y serais franchement allé… »

L’homme au crâne rasé

L’expo du Botanique présente « environ » 120 images en couleurs, une cinquantaine d’autres rassemblées en projection vidéo et, pour la toute première fois, 35 tirages noir et blanc: « Il y a un peu de ma thérapie dans cette expo, j’avais déjà abordé le sujet de mes racines il y a une vingtaine d’années au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles, mais c’était un travail moins abouti. Tout comme le livre publié en 2000 (Made In Belgium). » Le noir et blanc de Gruyaert, réalisé en 1970-1971, n’est pas joyeux même si ses personnages le sont parfois: cette Belgique-là, grise, endimanchée, croyante, perdue entre deux carnavals dans ses corons ou ses rues sans grâce, n’est pas loin du cafard. « Il a fallu que j’utilise la couleur pour que cette laideur, ce quotidien que j’avais fuis, rendent le sujet intéressant. » Le pop art est passé par là, comme les films d’Antonioni et la fascination pour le rouge pétant et les ciels tragiques, si beaux bleus belges. « Je conçois la photographie comme une bagarre avec le hasard, j’y vais par pure intuition, guidé par la lumière. Pendant la prise de vue, je me tiens complètement ouvert, animal, c’est pour cela que je n’aime pas la mise en scène. Ma démarche n’est pas du tout intellectuelle, d’ailleurs, je ne me présente pas comme ‘artiste’. » Harry, qui porte toujours une pointe traînante d’accent flamand, croit aux rencontres fortuites. Précepte illustré par l’une de ses images les plus connues: un couple âgé pris de dos est cadré devant un tableau de Magritte. « Il était en principe interdit de photographier à cette expo Magritte mais quand je les ai vus, je suis retourné chercher mes appareils au vestiaire et j’ai pris quatre clichés en cachette. Quelques années plus tard, l’homme au crâne rasé de cette photo m’a téléphoné chez moi à Paris pour voir si je voulais faire le portrait de ‘la plus belle fille du monde’. J’étais interloqué, je ne lui ai pas dit oui… Quelques années encore et une femme m’a appelé de Bruxelles en m’expliquant que l’homme sur cette photo était l’un des vieux amis de son père et qu’elle désirait acquérir un tirage de la photo. J’ai compris que c’était elle ‘la plus belle fille du monde’. Elle ne m’a plus donné signe de vie. Surréaliste. »

Vitesse d’éléphant

Entré au début des années 80 à Magnum, Gruyaert y trouve une maison et des photographies à partager. « Pendant longtemps, les archives de l’agence ont constitué une rentrée d’argent importante pour le groupe mais avec la disparition des magazines, la restriction constante des budgets, pas mal de gens ont été licenciés. L’important, est que je reste propriétaire de mes négatifs. » En 2004, Gruyaert se disait sceptique sur son passage au digital: « J’ai bien dû y passer puisqu’ils ne fabriquaient plus ma pellicule, le Kodachrome (disparu en 2009, ndlr). J’avais une trouille monstrueuse (sic) de passer au digital, allais-je pouvoir mettre dans une même expo des tirages numériques et argentiques? J’ai essayé d’avoir en digital la même discipline qu’avec le film de 36 vues. C’est la post-prod, Photoshop, qui a complètement changé la donne, le contrôle des tirages est bien plus grand et les encres pigmentaires, magnifiques. » Cela ne change pourtant pas le rythme indolent d’Harry Gruyaert qui avoue « accoucher d’un livre ou d’un thème à la vitesse d’un éléphant. Je pense toujours que je peux faire mieux. Certains, comme mon collègue Carl de Keyzer, mènent un projet à bout en deux ou trois ans, il m’en faut généralement vingt. Et encore, cela fait 30 ans que je travaille sur le Maroc et aucun livre n’est encore sorti. » Ceux qui iront voir les Roots de Gruyaert au Museum du Bota n’échapperont pas aux larges agrandissements visibles dans la galerie menant à l’Orangerie. Tirées sur toiles, ces splendides impressions colorées du Maroc attestent du regard harmonieux de celui qui, en Afrique du Nord ou ailleurs, « tient essentiellement à sa belgitude ».

JUSQU’AU 3 FÉVRIER AU BOTANIQUE, WWW.BOTANIQUE.BE

À LIRE ET À VOIR ROOTS BELGÏE-BELGIQUE 1970-1980 CHEZ HANNIBAL, TEXTE DE DIMITRI VERHULST.

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