Grand Klein: « Vivre dans un si petit pays t’oblige de toute façon à aller voir ailleurs »

Avec son groupe éponyme Klein, le Luxembourgeois Jérôme Klein amène un premier album viscéralement transfrontalier. © PHILIPPE CORNET
Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

Sorti du discret Luxembourg, voilà Klein, impeccable quatuor à la dérive contrôlée, du jazz spumante à la pop radiophonique. Rencontre avec son leader, Jérôme Klein.

C’est un samedi de février et Jérôme Klein est raccord avec la météo du jour: affable, souriant, épanoui. Conforme à l’ancestrale expression, le pianiste, claviériste et compositeur de Klein ramène du soleil. D’abord par sa musique et cet album Sonder, paru en décembre dernier sur un label de La Rochelle. Avec la ferme intention de faire reculer l’hiver, Jérôme? « Oui, on l’a sorti en hiver, moment où les gens restent au chaud. Mais c’est vrai qu’on a envie de le jouer sur des scènes à l’extérieur et de rencontrer des gens. À la base, j’ai un parcours très jazz mais là, je n’ai pas eu envie de choisir un style défini. Et puis le titre du disque, Sonder, vient de la langue anglaise et désigne le sentiment qu’on n’est pas tout seul face à nos complexités. Les intitulés des chansons, Solace, Catharsis, Down, ce sont des moments, des personnages. »

La qualité majeure de Sonder est peut-être son imprévisibilité. Sa façon très organique de négocier les multiples virages et d’esquiver toute ligne droite convenue. L’instrumentation y cimente les humeurs diverses tout en prenant le soin de les ambiancer: entre les programmations, le vibraphone, les claviers, s’installe une sarabande de tonalités originales, de richesses chromatiques. Ainsi, les trois morceaux parfaitement chantés -en anglais par Jérôme, une première pour lui- ne sont pas loin d’une pop suffisamment parfumée que pour amener des sensations dignes de Robert Wyatt. Avec des touches de piano que n’aurait pas reniées Bill Evans, mais aussi un spectre de virtuosité qui a l’épaisseur du jazz-rock charnel à la Jaco Pastorius. D’ailleurs Jérôme a longtemps joué sur un authentique Fender Rhodes seventies -« qui pèse une tonne« – et aujourd’hui se sert en concert d’un piano acoustique, si disponible. Et puis d’un Moog d’édition récente qui sert à pondre les basses et de deux autres classiques du clavier, le tout-terrain Roland Juno et le synthé polyphonique Prophet.

Si l’album produit pareille sensation d’osmose, c’est sans doute parce que les quatre musiciens jouent ensemble depuis plus d’une décennie. Pas besoin de graisser les rouages, ils tournent d’eux-mêmes dans une complicité huilée. Jérôme: « J’écoute des choses différentes, comme l’Anglais électronique Sohn ou les Américains de Son Lux. Des gens qui font de la recherche moderne, sans que le jazz ne soit jamais trop loin. Pour moi, le jazz se définit aussi par l’improvisation et l’usage d’instruments acoustiques, même si dans Klein, on ne refuse ni l’électricité, ni l’électronique. On a une volonté d’hybridité et le fait d’avoir trois morceaux chantés, c’est peut-être par désir de s’ouvrir davantage, de raconter quelque chose. Par exemple, Episode est un regard sur la société actuelle du paraître, celle de vouloir absolument être quelqu’un, de prétendre. Notre musique tient aussi à la mélancolie et, parfois, à la géniale simplicité qui pourrait, en toute modestie, rappeler Bach. Dans la plage titulaire… »

Import-export

Issu d’une famille française installée à Luxembourg, Jérôme Klein (1985) fait ses études aux conservatoires francophone et flamand de Bruxelles. « Je n’ai pas fait de piano mais un master en batterie! J’ai fréquenté ces écoles aussi pour rencontrer des gens qui viennent de toute l’Europe. Je continue à jouer avec des musiciens croisés dans ces deux conservatoires. J’ai d’ailleurs habité une dizaine d’années à Bruxelles avant de repartir vivre au Luxembourg, il y a quatre-cinq ans. Vivre dans un si petit pays t’oblige de toute façon à aller voir ailleurs: on est à deux heures de Bruxelles ou de Cologne, à trois de Paris. Mais depuis une décennie, c’est un endroit qui a beaucoup changé, qui investit pas mal dans la culture. En été, il y a énormément d’artistes à voir. Le Grand-Duché de Luxembourg a aussi un bureau qui travaille uniquement à l’export des artistes. » Les subsides étant plus généreux là-bas qu’ici, les cachets des musiciens sont également plus confortables. Comptez deux fois la somme pour un concert luxembourgeois, face à son équivalent belge… Pas mal, même si le coût de la vie du petit Grand-Duché est également supérieur au nôtre.

Prof dans une académie luxembourgeoise, Jérôme vit à une quinzaine de kilomètres de la capitale, et ne cesse d’être transfrontalier. Ainsi, la veille et le jour de notre discussion, il accompagne diverses formations plutôt jazzifiantes lors d’un festival au Delta de Namur. Ce qui n’exclut pas que la formation Klein a déjà joué en Inde à trois reprises, mais aussi en Corée du Sud et au Canada. Plus des gigs répétés en Allemagne et en France. Bizarrement, le quatuor ne s’est produit qu’une seule fois en Belgique. Parions que, surfant sur un pareil disque qualitatif, il sera bientôt de retour dans nos contrées.

Klein – « Sonder »

Distribué par Cristal Records. ****

Grand Klein:

Prenez Catalyst, cinquième des neuf morceaux de l’album, comme possible exemple du style Klein. Les premiers accords au piano semblent d’abord chercher leur voie et puis, sans peine, construisent une charpente, une mélodie, une atmosphère, une proposition. Qui, dès la première minute, embraie sur une large richesse instrumentale. Celle du batteur Niels Engel, du vibraphoniste, bassiste et claviériste Pol Belardi et des programmations et du sound design de Charles Stoltz. Tous trois également Luxembourgeois. Souvent, le piano et les claviers planent, comme hypnotisés, sur les autres instrus, en route vers la joie. Formule que l’on peut appliquer aux autres titres qui incluent trois étonnants moments chantés: Episode, le bien barré Creator et le mélancolique Poem. Et à chaque début de plage, une attente incertaine sur les minutes suivantes provoque l’excitation des sens. Ce qui n’est pas une mauvaise définition des bonnes musiques. L’objet est disponible en CD mais aussi dans un très élégant double album vinyle, format idéal pour apprécier la finesse de la pochette.

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