ARTISTE PHARE BIEN QUE CONTESTÉ DE LA SCÈNE BRITANNIQUE, DAMIEN HIRST A LONGTEMPS ÉVOLUÉ EN MODE NO FUTURE. UNE RÉTROSPECTIVE À LA TATE PROUVE QUE MÊME LES PUNKS VIEILLISSENT.

C’est dans un petit bureau au septième étage de la Tate Modern que Damien Hirst accorde ses interviews à quelques journalistes triés sur le volet. Grosses bagouzes aux doigts dignes d’un biker, il profite de la lumière d’une journée printanière. Derrière lui, la Tamise coule des jours heureux. Décontracté, l’homme a l’air d’un roi. Sans doute le roi Midas, monarque de la Grèce antique qui possédait le don de transformer tout ce qu’il touchait en or. A 46 ans, il est l’artiste le plus riche de la planète -son compte en banque affiche pas moins de 215 millions de livres. L’argent ne fait pas le bonheur a-t-on coutume de dire. De fait, l’apparente jovialité de Hirst cache une fêlure. Pour lui, tout ne va pas pour le mieux dans le meilleur des mondes. La montagne d’or sur laquelle il est assis ne lui épargne pas les ordinaires souffrances qui sont celles de tout un chacun. Depuis quelques années déjà, il doit faire face aux nombreuses critiques de la presse.  » On me reproche l’argent ainsi que le fait d’aborder l’art d’une manière sensationnaliste… L’art n’est-il pas sensationnaliste par essence? Ces attaques répétées me blessent. »  » Fumiste« : le mot, susurré dans le Turbine Hall du célèbre musée, est dégainé à l’envi par les « professionnels de la profession » qui voient en lui l’incarnation de l’art soumis au fric. Ceux-là ne lui pardonnent rien, ni ses installations trop évidentes – » il a fait du conceptualisme main-stream« , commente un critique qui voit là une trahison-, ni ses toiles trop lisibles à leur goût. Les années 2010 et 2011 sont loin d’avoir été fastes. Hirst n’a pas fait parler de lui, autant dire rien qui vaille pour cet artiste dont la stratégie s’appuie essentiellement sur une intense communication. L’année 2012 sera-t-elle celle du retour en grâce? On ne parierait pas là-dessus…

Mais ce n’est pas tout. Un autre fléau s’est abattu sur lui, dont la substance est l’essence même de nombre de ses £uvres: le temps qui passe. Exit le jeune homme rigolard des débuts que l’on voyait sourire à côté de la tête d’un macchabée, Damien Hirst avoue  » ne plus avoir envie de se teindre les cheveux en bleu« . Envolé également, le punk radical qui répétait à qui voulait l’entendre que s’échappait des musées un insupportable  » dead feeling« , parfait parfum de putréfaction.  » C’est arrivé sans prévenir, je me rends compte que j’ai vieilli et que quand je me retourne, il y a une histoire. Derrière tout ce que j’ai fait, il y a un sens… ce que je n’aurais jamais cru. Pour être très honnête, il y a des choses dont je suis fier mais également de la merde. C’est comme ça, c’est la vie, je ne pense pas que qui que ce soit échappe à ce genre de constat. » Qui est désormais Damien Hirst? Un working-class hero?  » Il y a de ça, j’aime cette idée, même si ma mère aurait dit un « middle-class hero ». Il reste que n’ayant pas eu d’argent enfant, j’ai sans doute plus de motivation à en faire que les autres. » Un ringard?  » Pas de doute, pour les jeunes d’aujourd’hui, je suis grand-papa Hirst, c’est inéluctable… j’ai longtemps vécu sans en avoir conscience. » Une figure de l’Histoire de l’art?  » Difficile à dire… Je me vois comme l’héritier de Duchamp mais aussi de Warhol en ce qu’il a décomplexé le rapport de l’art à l’argent. Je rends également hommage à Bacon que je croisais à Soho quand j’étais étudiant. » Un obsessionnel compulsif obsédé par la mort?  » C’est marrant, tout le monde me parle de la présence de la mort dans mon £uvre, alors que je pense qu’il s’agit avant tout de la vie. C’est en se confrontant à la mort que la vie prend tout son prix, on oublie cela trop souvent dans nos sociétés aseptisées. »

Une vérité plus profonde

Si l’on écoute avec attention les paroles de Damien Hirst, on reste persuadé que rien ne pourra mieux dire ce qu’il est exactement -de quoi il est le nom- que l’exposition de la Tate elle-même. Cette rétrospective qu’il appréhendait tellement est à comprendre comme un plan -« a map »- de son travail et non pas comme un « best of ». Dès l’entrée, le ton est donné par une petite balle de ping-pong en lévitation au-dessus d’un sèche-cheveux fonctionnant en continu. L’installation de fortune donne un thème récurrent, celui de la fragilité de l’existence qui travaille le Britannique de l’intérieur. Le fameux Memento Mori, « Souviens-toi que tu vas mourir » cher aux Anciens. Plus loin, une tête de vache sanglante – A Thousand Years (1990)- agacée par des milliers de mouches bien vivantes confronte le spectateur au pourrissement de toutes choses en ce bas monde et à la vie qui se nourrit de la mort. Pas de doute, Hirst possède un certain talent à faire les poubelles de la vie pour y dénicher ce qu’elle possède de moins reluisant. Le caractère inéluctable de l’existence est rappelé à coups de marteau aux quatre coins de l’exposition. Le tout mis en scène avec beaucoup de soin et une grande rigueur chromatique. Shocking? Pas tant que ça. La vraie clé de l’exposition est donnée par Sa pièce-maîtresse: The Physical Impossibility of Death in the Mind of Someone Living (1991). Ce que dit la gueule grande ouverte du requin conservé dans le formol est à comprendre en creux. Il exprime qu’Hirst est la concrétion d’une époque, que celle-ci a percolé à travers lui. Une époque cruelle, féroce, dans laquelle les grands poissons mangent les petits. C’est l’Angleterre de Margaret Thatcher et l’ultra-libéralisme qui constituent le socle de son travail. De ce foisonnement brutal, Damien Hirst a retiré une culture visuelle violente. A l’instar de ses armoires pharmaceutiques pleines de médicaments qui n’apaiseront jamais rien, c’est le constat d’une vie et d’une société malade qui saute aux yeux. Damien Hirst est le nom de la lutte des classes et de la violence originelle entre les hommes. l

u DAMIEN HIRST, TATE MODERN, BANKSIDE, À LONDRES. DU 04/04 AU 09/09.

u WWW.TATE.ORG.UK

RENCONTRE MICHEL VERLINDEN, À LONDRES

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