Fontaines

© Barbara Dietl

Avez-vous votre parapluie sous la main? Il n’est pas impossible que vous en ayez besoin. Car l’histoire que raconte l’écrivaine allemande Stephanie Haerdle dans son remarquable premier livre traduit en français, Fontaines, est plutôt du genre mouillée. Sous-titré Histoire de l’éjaculation féminine, de la Chine ancienne à nos jours, il est en effet une traversée érudite, ironique, militante et brillante, de près de deux millénaires d’interrogations et d’observations sur un phénomène sexuel qui demeure une énigme aux yeux de beaucoup. Et si, demande-t-elle, ce caractère énigmatique n’était rien d’autre qu’une manière de s’arranger avec une expression de la jouissance qui ne cadre pas dans les limites que lui prescrit la société? Tour à tour considérée comme une monstruosité, un miracle ou un fantasme pornographique, l’éjaculation féminine est pourtant une réalité -qui a interrogé les médecins et les anatomistes au même titre que les artistes, les psychanalystes et tous les obsédées et obsédés que compte la planète. Parce qu’elle ne semble pas la règle (alors qu’elle concernerait 69% des orgasmes), toutefois, la jouissance-fontaine a toujours dû être expliquée, justifiée, légitimée -c’est-à-dire replacée dans un cadre où sa bizarrerie, pour être reconnue, pouvait aussi être domestiquée. De « l’eau de volupté » des anciens traités indiens au squirt du porno gonzo contemporain, de la « semence féminine » qui fascinait les Grecs au kunyaza qui s’observe en Afrique Centrale, de « l’eau de jade » sur lesquels méditaient les sages chinois à l’invention du « point G » par les sexologues du XXe siècle, Stephanie Haerdle raconte comment cette explication a avant tout visé à ce que la clé de la jouissance féminine demeure encore et toujours entre les mains des hommes. Pourtant, il y aurait fort à parier que ceux-ci y gagneraient aussi à accepter le grand désordre du lit que provoque l’éjaculation féminine -tant il est vrai qu’il n’y a de plaisir que partagé, et que total.

Fontaines

De Stephanie Haerdle, éditions Lux, traduit de l’allemand par Stéphanie Lux, 312 pages.

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