Floride

Il y a souvent un vrai intérêt à lire les écrivains qu’on juge brillants au long cours sur des formats plus concis, et Lauren Groff ne fait pas exception. Dans ses nouvelles, ses enjeux se déclinent en mode subtil, piquant, et le genre lui permet d’expérimenter. Dans Floride, l’autrice du roman acclamé Les Furies a le chic pour mettre le doigt dans la plaie, pour colorer la pulpe des pages d’une angoisse presque irrationnelle (une panthère errante dans Abysse), pour créer des microcosmes mus par une tension moite (la robinsonnade Et le chien devient loup) ou traversés par des remugles annonciateurs. Mais dans ce territoire gorgé d’incidents possibles et ponctué de phénomènes surnaturels, c’est la sphère intime qui crée les plus impressionnantes bourrasques. Ce qui renforce ici la mélancolie des personnages féminins, si souvent un verre à la main, n’est pas tant le cyclone qui effraie les poules ou décime l’équipe de basket local que de revoir surgir le fantôme d’un homme parti pour une autre ( L’OEil du cyclone). Que se rendre compte que faire des recherches sur Guy de Maupassant (un auteur qu’on étudie depuis dix ans, mais qu’au fond on déteste) sur les lieux même où il a vécu n’est qu’une fuite en avant ( Yport). L’excellente traduction de Carine Chichereau fait luire cette inadéquation au monde, cette absurdité internalisée, d’une lueur encore un peu plus étrange. S’échappe au final de ces douze textes une petite mélodie bien plus amère que douce, à la manière des photographies baignées d’ocre sale de Gregory Crewdson.

De Lauren Groff, éditions de L’Olivier, traduit de l’anglais (États-Unis) par Carine Chichereau, 304 pages.

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