Fat White Family: « J’espère franchement qu’on pourra faire un disque de crooner avec un orchestre. »

Nathan, Lias et Saul (de gauche à droite) : Fat White on the rock... © BEN GRAVILLE
Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

La famille la plus déglinguée d’Angleterre surfe et souffle sur les vagues polluées de la pop music dans son nouvel album. Came, conflit, Brexit… Conversation à bâtons rompus avec le groupe britannique le plus important de son époque.

Dix heures et demie du matin. Un quart d’heure avant notre rendez-vous, Lias Saoudi est déjà dans le hall du luxueux Dominican Hotel. Le chanteur de la Fat White Family est même là avant sa nounou. En attendant que ses potes descendent de leur piaule, la bête de scène toujours aussi affable, drôle et langue de pute raconte des histoires de tournée. Comme cette fois où, dans un hôtel d’Europe de l’Est, leur batteur de l’époque leur balançait des bouteilles en verre à la tête alors qu’ils se saoulaient dans le jacuzzi et qu’un autre membre du groupe parti baiser dans la piaule d’à côté tambourinait au mur en gueulant qu’ils lui ruinaient son coup…

Sex, drugs, rock’n’roll mais pas seulement. La Fat White Family est ce qui est arrivé de mieux à la Grande-Bretagne de la musique depuis des lustres. Sans doute le groupe anglais le plus important de ce XXIe siècle tourmenté. Les Libertines? Pas assez engagés. Trop vite cramés. Et guère aventureux musicalement. Les Arctic Monkeys? Rien grand-chose à dire. Trop de prétention. Et quasiment aucun sens de l’humour. La Family ne rencontrera probablement jamais autant de succès que ces poids lourds de la Couronne, mais la Fat White a tout. L’audace musicale, les concerts sauvages, une vraie conscience politique et sociale exprimée jusque dans la rue (notamment avec sa banderole  » The Bitch is dead » agitée à la mort de Thatcher). Tout ça avec le danger, les excès, les clips provocateurs et drôles, comme cette garden party sanguinolente, léchée et gore filmée par Róisín Murphy ( Tastes Good with the Money). Même ses side-projects (The Moonlandingz, Insecure Men, Warmduscher) ont plus que de la gueule. Lias rejoint par son frère Nathan et l’édenté Saul Adamczewski, plus fringuant que jamais, la Family se met à table.

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C’était quoi l’idée avec ce nouvel album Serfs Up! (lire notre critique)?

Lias: On voulait enregistrer un disque moins abrasif, sans doute plus pop. Un concept très vague. Ça n’allait pas beaucoup plus loin. On n’a jamais bossé avec un cahier des charges.

Saul: On a toujours davantage déterminé ce qu’on voulait faire par ce qu’on désirait fuir. Et généralement, on en a une idée assez claire. Cette fois, on a voulu s’éloigner de notre album précédent, Songs for Our Mothers, et de tout ce qui allait avec. La musique, puis aussi les circonstances qui l’entouraient. On a visé l’opposé.

Lias: Ça signifie un disque plus ordonné, plus réfléchi. Davantage de temps, d’ouverture, de communication. De gens impliqués aussi.

Saul: On est par ailleurs plus à l’aise avec l’idée d’être des songwriters. Avec le fait d’écrire des chansons aux structures classiques. Il y a toujours eu beaucoup de colère dans ce groupe. Il nous fallait avancer.

Cet album est né à Sheffield?

Lias: Je dirais plutôt à New York. Quand Saul bossait sur l’album d’Insecure Men chez Sean Lennon. Nathan était là aussi. On s’est bien marrés. Ça nous a vraiment rassemblés. Jusque-là, on se bagarrait souvent, il y avait énormément de frictions. On s’est dit que de toute évidence, on devait travailler sur le nouveau Fat White ensemble et que la pop était la bonne direction à emprunter. Saul s’est consacré à Insecure Men pendant un petit temps. Nathan et moi sommes partis pour l’ennuyeuse ville de Sheffield et y avons aménagé un petit studio.

Saul: Quand j’ai rejoint les autres pour bosser sur ce disque, mon rôle devait être celui d’un producteur mais on a compris que ça n’avait aucun sens, que ça devait aller comme ça avait toujours été. Ce groupe, c’est nous.

Nathan s’est davantage investi apparemment?

Nathan: J’ai écrit quelques morceaux. Feet, Rock Fishes… Et j’ai aidé sur pas mal de trucs. L’intro de Oh Sebastian par exemple. D’habitude, je ne faisais pas vraiment entendre ma voix. Mais je ne voulais pas rester le larbin du clavier jusqu’à la fin de mes jours.

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Quelle relation entretenez-vous avec la pop et quel regard jetez-vous sur son évolution?

Saul: On a toujours été fans de pop music mais elle est aujourd’hui moins intéressante que dans les années 60. En tout cas si on parle de charts et de pop commerciale. Je ne me tiens pas vraiment à jour. On a fait un album pop mais un album pop bizarre. Un album pop avec des idées.

Lias: C’est ce que la pop était avant, non? Un truc nouveau et en même temps familier. Elle était plus chargée. Prends un George Michael… Il faisait des déclarations politiques fortes par-dessus le marché.

Saul: Pas qu’on soit de particulièrement grands fans mais même les Clash sont passés du punk à la pop.

Lias: C’est assez similaire au cinéma hein. Tu n’auras probablement plus jamais un 2001: l’Odyssée de l’Espace. Plus personne ne dépensera autant de fric sur un projet aussi obscur. Plus personne n’investira dans un truc aussi compliqué en espérant le vendre au grand public.

Est-ce que ce genre de pop music aventureuse peut encore rencontrer le succès?

Saul: Ça dépend de la définition que tu donnes à la réussite. On ne va pas gagner un Grammy, on ne va pas remplir des stades et on ne sera jamais riches. On espère par contre ne pas terminer totalement fauchés et pouvoir continuer à explorer. Si on joue le jeu juste assez cyniquement, on s’en offrira l’opportunité. J’espère franchement qu’on pourra faire un disque de crooner avec un orchestre. C’est là qu’on veut aller. Je nous donne trois disques pour y arriver. Un truc à la Harry Nilsson, à la Scott Walker, Tom Waits, Randy Newman… On fera le Royal Albert Hall avec le London Philharmonic. Un truc sophistiqué. Les Last Shadow Puppets? Dieu nous en préserve. Ça, c’est vraiment de la merde, du putain de gaspillage.

À quel moment on se dit qu’on a été trop loin avec la came?

Saul: Tu réalises toujours bien trop tard. Genre trois jours après avoir essayé de poignarder ton pote.

Lias: Ou quand tu te retrouves enchaîné dans une prison en Chine…

Saul: Tu as besoin d’aller trop loin pour comprendre. La cure de désintox, ça ne marche pas. Sortir de tout ça, c’est un processus. Tu dois te réaliser. Et peut-être que tu arriveras quelque part. Si tout va bien. Mais tu ne sais jamais si tu ne feras pas quelques pas à reculons. L’addiction est quelque chose qui ne te quitte jamais, je pense.

Lias: Beaucoup de gens doivent aller aux alcooliques anonymes, ou des trucs du genre, tous les jours pour rester clean. On en connaît plein. Ils ont 50 balais et voilà à quoi ils doivent passer leurs putains de journées. C’est un jeu dangereux.

C’est facile de vieillir dans le business de la musique?

Lias: Ça ne t’offre que très peu de garantie et de sécurité.

Saul: Je pense que faire de la musique empêche ta croissance. Tu ne deviens jamais quelqu’un de complètement accompli. Tous les musiciens professionnels bien plus vieux que nous, ces gens de 50, 60, 70 balais sont encore des putains d’adolescents. C’est un archétype. Celui de l’enfant magique.

Et créativement parlant?

Saul: Je pense que Tom Waits et Iggy Pop ont réussi. Nick Cave quelque part aussi. Mais un tas d’artistes y sont parvenus dans l’underground. C’est possible lorsque tu évolues. Et de préférence de manière appropriée à ton âge. Quand je vois des groupes punk des années 70 qui arrivent à la soixantaine et qui jouent encore et toujours les mêmes chansons qu’en 1977…

Comment Baxter Dury s’est retrouvé sur votre disque?

Lias: C’est un vieil ami. Il avait déjà travaillé avec Saul il y a dix ans sur l’album des Metros.

Saul: Baxter est le prince de Ladbroke Grove, un quartier de West London. La chanson Tastes Good with the Money parle en partie de la catastrophe à la Grenfell Tower ( un incendie qui a détruit un immeuble de logements sociaux en juin 2017 et fait 70 morts, NDLR). Tout près de là où il a grandi, de là où il vient. On s’est dit que c’était une bonne idée de lui filer un spoken word. En plus, Baxter est un Serge Gainsbourg cockney. Il est moins barjot que dans le temps. Il fait de l’exercice, s’occupe de ses gosses. Mais ce qu’il réalise avec la pop est excitant. Je suis vraiment un énorme fan d’ Happy Soup.

Non mais laissez-moi, non mais laissez-moi...
Non mais laissez-moi, non mais laissez-moi…© DUNCAN STAFFORD

De quelle manière vos side-projects (Insecure Men, Warmduscher et The Moonlandingz) ont-ils nourri ce nouvel album?

Saul: Insecure Men a influencé Serfs Up! à tous les niveaux. C’est pendant les sessions d’Insecure Men qu’on a décidé de s’y mettre. Mes partenaires d’Insecure Men ont participé à sa fabrication. Les morceaux plus mélodieux du disque jouent aussi avec des sonorités que je me sentais plus à l’aise d’aborder depuis cette aventure.

Lias: Les autres projets ont été importants dans le sens où ils nous ont donné la chance de faire autre chose, de développer d’autres relations de travail, d’autres dynamiques. Ça nous a aussi libérés de la pression de la Fat White, de son côté claustrophobe, de cette idée que si ça foire, on est baisés.

Saul: L’empreinte de chacun sur le groupe s’est allégée. Ce n’était plus une question de vie ou de mort, de se dire que si ça partait en couille, on se retrouvait à la rue. Chacun a ses projets personnels maintenant. Lias a un projet acid house avec les mecs de Paranoid London. Nathan bosse sur son premier album solo. J’ai aussi un nouveau Insecure Men sur le feu…

Lias: Tout le monde fait désormais partie de la Fat White parce qu’il en a envie.

Vous avez pensé à tout arrêter?

Lias: À un moment, on s’était séparés de Saul et ça foutait un peu tout le projet en l’air. On était signés comme un duo d’auteurs-compositeurs et la moitié du duo n’était plus là. Tout le monde avait de gros problèmes avec la drogue. Donc on commençait à se dire qu’au bout du tunnel, c’en était juste un autre. On se demandait qui pourrait bien investir du temps et de l’argent sur des mecs en apparence guidés par leur propre destruction. Je ne savais pas trop comment ça allait tourner. J’étais anxieux et inquiet.

Est-ce que les tensions sont une bonne chose pour l’art et la création?

Lias: Le conflit l’a toujours été, je pense. Que ce soit dans la culture ou dans la nature. Pour que le changement se produise, il doit être là. Après, il faut voir comment y faire face, comment le mettre à profit. De manière à ce qu’il ne t’embarque pas dans des avenues sans fin de paranoïa. Sans friction, c’est rarement intéressant.

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La pochette du disque, c’est une référence au Surf’s Up des Beach Boys?

Saul: Non. Ce n’est pas un clin d’oeil. Toute l’imagerie en ce compris le trailer, les vidéos, le merch, le logo, les paroles, tout est lié à cette exploration de l’Histoire et du mysticisme de l’ancienne Europe. Des choses qui sont d’habitude utilisées par l’extrême droite. Le romantisme allemand, ce genre de choses. On a voulu prendre cette imagerie et la subvertir. On utilise aussi des codes britanniques païens. Des trucs mannois…

Lias: Ce qui nous intéresse là-dedans? La nature de ces symboles et comment ils évoluent à travers les époques. Encore et encore. L’énergie qui va avec. La plupart d’entre eux sont beaux et poétiques. On ne veut pas les laisser dans l’obscurité à la main de tous ces bigots et de ces haineux.

Saul: C’est aussi une traduction folklorique d’où on vient. Ce n’est pas du nationalisme. Tu peux t’intéresser et être fier de tes racines, de ta culture sans pour autant penser que l’homme blanc est une espèce en danger.

Vous êtes optimistes quant à l’avenir?

Saul: On croit qu’il y a de l’espoir dans le caractère désespéré de notre époque. On vit le début d’une extinction de masse. Et donc toutes les formes et les idées d’espoir doivent être perçues dans cette perspective de fin des temps… On baigne dans ce qu’on appelle le nihilisme Happy Go Lucky. Il y a de l’espoir dans le fait d’être assez courageux pour ne croire en rien. Les Gilets jaunes se révoltent, c’est bien, mais ils ont été cooptés en Angleterre par des mouvements d’extrême droite pro-Brexit. C’est vraiment de ça que parle le disque: regarder la situation, la montée des populismes et chier allègrement dessus.

Lias: Plus les choses vont mal, plus elles sont intéressantes pour les artistes.

Et ce Brexit justement?

Lias: Ma mère a voté contre l’Union européenne à cause du nombre trop important d’immigrés. Je lui ai dit: mais tu as épousé un Algérien, le père de tes enfants… Et elle m’a répondu:  » Exactement. J’avais toutes les raisons du monde de voter pour le Brexit. » (Rires) En même temps, c’est très facile pour les gens de la classe moyenne à Londres de dire de laisser tout le monde entrer. Mais quand tu vis au fin fond de l’Angleterre avec le sentiment d’abandon…

Saul: Les gens de la working class ont peur pour leur culture. Ils ont le sentiment qu’elle s’érode. C’est le cas, mais définitivement pas à cause des immigrés.

Lias: On parle beaucoup des étrangers mais peu de l’américanisation permanente. Ça a du sens que les Anglais réclament leur identité dès qu’ils le peuvent. Même si ça mène probablement à un désastre.

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