Fallait pas m’inviter, semaine 11: James dit oui

Revenu de ses chroniques nocturnes, Guillermo Guiz plonge cette année dans le monde du spectacle et de l’art. Pour y découvrir des formes que sa grossière inculture lui avait cachées jusqu’ici. Fallait pas m’inviter, ça se poursuit ce vendredi. Avec une pièce de théâtre qui sent bon la fumette.

J’étais vierge, niveau Marie-Janne. Ou presque. Je dois être le fumeur de joints le plus minable de sa génération. Une quarantaine de taffes dans ma vie, à tout casser. Vraiment. Et plus une seule depuis un bail, au moins depuis la disparition d’Horst Tappert (RIP). Fumer, c’est pas pour moi, ça sèche la bouche, ça brûle la gorge mais ça laisse ton foie en paix. Et mon foie, il est comme ça, il est actif, c’est un cascadeur, faut pas le ménager. Je n’ai, par exemple, jamais ressenti l’immense et proverbiale faim décrite par les amateurs de canne-à-bi (ce serait fort, d’aller en soirée avec sa canne-à-bi, pour attraper des plans à trois). Quant au planage et à la stonité, là encore, triste constat: rien de rien, de chez rien, de chez service après-vente de chez REMBOURSE! Leurs histoires de fumette, au trio déclamant Les Monologues de la Marijuana sur la scène du Théâtre de Poche, étaient donc censées glisser sur la carapace de mon inattention. Sympathiques a priori, mais pas d’un intérêt bouleversant. En temps normal, j’aurais laissé le Théâtre de Poche dans sa Cambre d’adoption pour poursuivre ma cliquetante existence. Mais comment aurais-je, dans ce cas, récupéré mes titres-services?

Bon, là tu te demandes probablement ce que Sodexho vient faire dans mon texte. On devrait d’ailleurs toujours se demander ce que Sodexho vient faire dans un texte. Et je te félicite pour ton réflexe. Quoi? Bon, parmi les trois interprètes des Monologues de la Marijuana figure un certain James Deano, celui des Blancs ne savent pas danser. Et James Deano a mes titres-services. Je te passe les détails. En gros, James et moi, on a coloqué pendant quelques mois. Et il a mes titres-services. Et j’ai une chronique à dérouler. Alors, je me fait la réflexion suivante: pourquoi ne pas écrire sur une pièce interprétée par un pote? C’est vrai au fond. Quoi de plus casse-gueule que la critique quand on connaît bien le critiqué? Faut pas être trop gentil, c’est suspect. Faut pas être trop méchant, ça casse les liens. Faut pas être trop mou, ça paraît trop mou. Lundi, j’appelle James, pour évoquer l’initiative, pour qu’il me réserve une place, et pour qu’il n’oublie pas Sodexho. Moi: « Je viens voir ta pièce, pour Fallait pas m’inviter. » Lui: « Crache-moi à la gueule si tu veux dans ton papier, mais n’oublie pas que je sais où tu habites. » James est drôle, à peu près tout le temps. « Si tu pouvais mettre mon lien iTunes aussi, ce serait cool. » James est un crevard. Pas tout le temps. Mais son nouvel album vient de sortir, avec quelques tout bons tracks à flow dedans. Je suis nul en iTunes, mais je te mets un extrait de Putain de Boucher.

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Deano, c’est un mec vachement talentueux. Rap, songwriting (il a notamment composé le tube de Jali, Espanola) comédie, stand-up, titres-services. Plein de cordes à son arc, et souvent joliment tendues. Surtout, il paye son loyer (à temps en plus). Bon, juste après le coup de téléphone relayé un peu plus haut, je tombe par hasard sur une brève critique des Monologues de la Marijuana. Dans Focus. Carrément. A la maison quoi. Et là, aie, hum, ouch, pchi, onomatopée. Ma collègue parle de ces « monologues qui déconnent dans un stand-up banal au texte cheap qui toutefois amuse une salle intergénérationnelle. » Pas très appelant tout cela. Mais l’amie Nurten, auteure de cette cinglante volée de boisdelacambre, n’a pas pu, je le sens, apprécier le spectacle à sa juste valeur. Tout simplement parce qu’elle n’a certainement pas attendu une demi-heure, seule dans l’antichambre du théâtre. Moi oui. Et quand tu attends une demi-heure que la salle s’ouvre, seul, sans rien à lire, sans pouvoir t’asseoir, en regardant les gens qui commandent au bar (tu le ferais bien, commander au bar, mais au fond, ce sera toujours aussi chiant), et bien alors, FORCÉMENT, tu t’emmerdes tellement que ce qui suit devient du caviar. Une fois assis dans la salle, enfumée et enbobmarleytisée pour la circonstance, c’est Byzance.

En plus, franchement, Les Monologues de la Marijuana, adaptés d’un texte de Doug Benson, Arj Barker et Tony Camin, ça passe très bien. Tu dis pas « waw! », mais tu dis pas « pfff! ». Certes, le choix des comédiens Riton Liebman et de Stéphane Fenocchi me semble un peu cavalier: Deano, en fumeur de joints, ça coule de source, mais ses deux compères seraient largement plus crédibles en contrôleurs des contributions. Pour autant, le texte et son adaptation francophone possèdent quelques jolies fulgurances, l’ensemble est plaisant, futé par moments, trop facile à d’autres (un paquet de gags téléphonés), souvent amusant, parfois très drôle. James, quant à lui, tire son épingle du jeu avec talent, même si on sent, dans la portée de sa voix, qu’il n’a pas été formé au théâtre. On sent fort également (et je lui ai déjà dit) l’influence des quelques humoristes qu’il vénère sur sa gestuelle, son phrasé, ses mimiques. Mais il tient bien la route, le gaillard. En clair, Les Monologues de la Marijuana ne pèseront pas sur l’Histoire de la mise en scène, mais la pièce fait sourire, distrait, et prend soin de ne pas durer éternellement (1h10). De mon côté, j’ai récupéré mes titres-services à l’accueil, je n’ai même pas besoin de mentir sur la prestation de mon pote, et au final, j’ai passé un bon moment. Que demande le peuple? Je reviendrai, même sans Sodexho!

Guillermo Guiz

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