Fallait pas m’inviter, semaine 1: Crazy in love

Revenu de ses chroniques nocturnes, Guillermo Guiz plonge cette année dans le monde du spectacle. Pour y découvrir des formes que sa grossière inculture lui avait cachées jusqu’ici. Fallait pas m’inviter, ça commence aujourd’hui. Avec le Crazy Horse.

J’étais vierge, niveau Crazy Horse. Jamais vu, juste entendu, même pas fantasmé. Pas ma came le cabaret, un peu par habitude, par réflexe, façon « je t’ai déjà dit que j’aimais pas les chicons (putain!) ((optionnel)) », quand tes premiers poils s’extirpent du trio menton/aisselles/pubi. 1) Les chicons craignent pour de vrai 2) J’ai grandi, les hantises et indifférences de l’adolescence se transforment parfois en bonheurs de la pré-vieillesse (cf. le vin rouge, la sieste). A trente ans ou presque, il était donc temps d’aller humer ce que les petites femmes de Paris cachaient sous leurs corsets.

Cette rubrique, tu l’auras constaté, s’appelle « Fallait pas m’inviter ». A cela, j’ajouterais d’emblée: « Fallait pas sous-inviter Simon Le Saint non plus ». Parce SLS a beau tourner les disques et gérer les fourneaux comme personne, il porte une casquette au Crazy Horse. Et ça met la honte. Dans un lieu couvert, on se découvre, espèce de malotru. Malotru, quel drôle de mot. A haut potentiel cela dit (exemple: j’ai malotru).

Mais je m’égare. Rewind. Arrivée à la salle de la Madeleine, au coeur de Bruxelles. 20h17. En retard. Forcément. Depuis le 30 septembre, le cabaret parisien s’est tapé l’incruste rue Duquesnoy, histoire de bien exciter le mâle autochtone. En retard, tu dois patienter, attendre que les numéros s’achèvent pour rejoindre la salle. Là, tu trépignes, tu te dis, parce que ton ego fait de la salle en ce moment: on m’a invité = je vais entrer en seigneur, la table ronde face à la scène est prête, le light va lancer la poursuite sur moi, la salle retiendra son souffle, les petites lampes clignoteront, le champagne aussi, les Havane seront chauds, même les filles du Crazy materont, discrètement à travers les rideaux, mon entrée triomphale. Donc on nous installe derrière, trois rangées avant la fin et les chaises rouges (ambiance!) ont le capitonnage espiègle: dans quelques lignes, j’aurai le séant tout douloureux.

En fait, présenté comme ça, on dirait un spectacle de fin d’année, à l’Institut Jean XXIII de Vaux-sur-Sûre. Mais en plus classe. Avec une petite scène, des rangées de chaises écarlates. Et des tonnes de vieux. Au moins, y’a une vieille marrante devant moi, parce qu’elle a la coupe à Jean-Marie Pfaff et que sa veste à damiers accroche 16% de mon regard, quel que soit le numéro. Le bourgmestre Freddy Thielemans chauffe les premiers rangs, y’a du people sévère, mais que fait Ciné-Télé-Revue?

On stage, les filles du Crazy Horse s’activent. Le corps et le visage enfuis dans le néant, elles agitent uniquement leurs guibolles et leurs fesses dans un ballet aérien aussi précis qu’envoûtant. Ca claque. Ca claque vraiment et c’est soufflant. Avec ma copine et Simon le Saint, qui porte une casquette, on se jauge et on approuve. Enchaînement. Les numéros se suivent, convaincants, minutieux, entraînants, sexy. Parfois un peu kitschounets les strip-teases, mais jamais lourdingues. Bon moment.

Alain Bernardin, le fondateur du Crazy Horse, privilégiait les filles en formes, seins et fesses rebondis mais taille de guêpe, pas plus d’1m72. Cabaret érotique oblige, Simon Le Saint, qui porte une casquette, me glisse, avec l’accent du dépeceur de Mons: « Ca m’excite » ou, variante, « elles sont à quel hôtel? ». Classique. Avec des bombes pareilles sur scènes, seins nus et string de série, les mâles ont deux options pour la suite de la soirée: démembrer leur épouse en rentrant ou chanter « A nos actes manqués » en dormant dans le fauteuil. Faut pas se mentir, ça titille les haricots, des créatures aussi généreuses. Alors, pour calmer les caleçons, le Crazy Horse se la délire Patrick Sebastien, avec deux saltimbanques qui se déshabillent et se rhabillent en jonglant. Tabac, salle au bord de la standing-ovation: les deux seuls mecs de la troupe raflent la mise! Paradoxal. Aussi, ça se finit brutal, comme ça, sans rappel, sur un dernier numéro sympa, à base de pole dance chorégraphié à la serpe. Et de rideau qui se ferme définitivement. Il est 21h41. Pas trop, pas trop peu. Je reviendrai. Si on m’invite.

Guillermo Guiz

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