Olivier Van Vaerenbergh
Olivier Van Vaerenbergh Journaliste livres & BD

BUNKER PALACE HOTEL

LES FONDS DE TIROIR D’ EDWARD BUNKER FONT LES BONS ROMANS CHEZ RIVAGES. SEPT ANS APRÈS SA MORT, L’ ANCIEN TAULARD RESTE UN DES ÉCRIVAINS PHARES DE LA MAISON.

DE EDWARD BUNKER, ÉDITIONS RIVAGES/THRILLER, TRADUIT DE L’ANGLAIS (USA) PAR FREDDY MICHALSKI, 236 PAGES.

« Chez les dingues, j’ai soulevé tous les givrés et déclenché une insurrection. On m’a expédié en prison. Là, on savait qui j’étais… Tout ça se termine quand je me fais la belle la nuit, pendant que les émeutes de Watts battent leur plein. Alors, vous la voulez cette histoire? » Ainsi écrivait Edward Bunker à son éditeur américain, quelques années avant sa mort, en 2005, au moment de lui proposer quelques nouvelles. Des récits jamais complètement autobiographiques mais marqués, comme sa lettre, du sceau de l’authenticité. Edward Bunker savait en effet de quoi il parlait quand il écrivait sur la taule, y ayant passé plus d’un tiers de sa vie. Un chemin de croix qu’il a transformé en rédemption en devenant non seulement écrivain, mais l’un des plus fameux lorsqu’il s’agit de raconter le milieu carcéral américain. La preuve par ce qui restera sans doute l’une de ses dernières traductions: les éditions Rivages ont désormais probablement fait le tour, avec cette Evasion du couloir de la mort, de sa production trop modeste. Mais elles auront bien fait: quelques pages de Bunker, et de son traducteur Freddy Michalski, valent bien des polars plus conséquents.

Six nouvelles donc -sept en comptant cette brève introduction-, parfaitement dans l’esprit du bonhomme, et qui toutes se passent à l’ombre. Parfois dans la peau d’un Noir, parfois dans les années 30, et souvent à Saint Quentin,  » la maison de Dracula« , pénitencier de Californie connu pour être l’un des pires, où Bunker a passé de longues années, et dont il avait même réussi à s’évader par deux fois. Des récits forcément brutaux, d’une précision chirurgicale et évidemment abominables quant aux conclusions que Bunker en tire, sans jugement ni pitié: les prisons américaines sont et restent des machines à broyer ou, au mieux, à transformer des criminels en bêtes.

Une bonne intro à la Bête

Bunker nous apprend ici  » le secret de la marche jambes enchaînées« , la fatalité implacable des rapports raciaux – » Nom de Dieu, pour ce qui était de les haïr, les Blancs facilitaient bien les choses au reste du monde« – ou la déshumanisation complète de l’encadrement des condamnés à mort – » La mort serait longue, et lente« … Mais Bunker y plante aussi quelques graines d’espoir et d’évasion, concrètes ou littéraires: l’un de ses personnages, qui lui ressemble, ne lâche jamais son bouquin de Régis Debray.

Si ces tranches de vie n’atteignent jamais la portée de son roman culte Aucune bête aussi féroce, premier d’une Trilogie de la Bête qui reste un summum du genre, 40 ans après son écriture, et qui vaut bien plus que son étiquette carcérale, cette Evasion offre une excellente introduction à son univers. Ces nouvelles-là ont le goût des premières éditions de Rivages, lorsque l’éditeur français était au sommet de son art. Un recueil exemplatif aussi de ce que la maison doit à Freddy Michalski, l’un de ses meilleurs traducteurs, d’Ellroy à James Lee Burke. On retrouve ici autant sa patte que celle de notre ancien taulard, et c’est une autre bonne nouvelle.

OLIVIER VAN VAERENBERGH

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