L’OFFRE EN BD NUMÉRIQUES EST EN TRAIN D’EXPLOSER. PARTICULARITÉ: ELLES SE VEULENT TOUTES ET ENFIN CRÉATIVES. ET SE PASSENT TOUTES DES ÉDITEURS PAPIER.

« Quand on voit un projet sortir du lot, ce n’est qu’un projet. Quand on en voit plusieurs, c’est un mouvement. Il est clair aujourd’hui que la BD numérique est un mouvement qui est en marche. Et c’est très bien! Nous sommes en train de changer de paradigme, un marché peut éclore. En kiosque, ce serait impossible. » Le Français Gwenaël de Bonneval sait de quoi il parle: il y a quelques années, il dirigeait le défunt Capsule Cosmique, revue de bande dessinée pour jeune public qui entendait bouger les lignes du genre. L’initiative a vécu, pas son esprit: le voilà qui se lance dans une nouvelle revue de bande dessinée, numérique cette fois, et au casting à faire pâlir d’envie n’importe quel éditeur. Le Professeur Cyclope verra le jour au début de l’année 2013, et entend, rien de moins, devenir le Pilote ou le Métal Hurlant des « digital natives ».  » On est partis d’un double constat, complète le scénariste Fabien Velhmann, complice dans l’aventure: il n’existe plus de magazine de bande dessinée qui soit à l’initiative de créateurs. Et les maisons d’édition habituelles ne proposent rien de convaincant en termes de modèle économique, alors que tout est prêt. L’homothétie et la numérisation des planches n’étaient qu’une étape, déjà dépassée. Les auteurs n’ont pas d’autres choix que de prendre leur avenir numérique en main. » Un avenir qui a déjà commencé: les offres en « web comics », « screen comics » et autres BD digitales abondent désormais. Toutes ne survivront pas à leurs modèles économiques largement expérimentaux. Mais certaines s’apprêtent à écrire les premières pages d’une nouvelle histoire de la BD en pleine mutation. Et dont le contenu tient enfin compte de son contenant.

Des éditeurs attentistes

Jusqu’à présent, et pour l’essentiel, le secteur de la bande dessinée est resté extrêmement prudent, pour ne pas dire réservé, en termes de transition numérique. A peine a-t-on vu une tentative de distribution digitale se mettre en place via des plateformes comme Izneo, qui se « contentent » de numériser des albums existants (sans être capables de fédérer tous les éditeurs). On a également vu naître quelques expériences de crowdsourcing ou de crowdfunding, influençant le financement des albums, mais ni leur contenu ni leur distribution. Pour ce qui est des créations originales, rien à signaler de la part des grands opérateurs du secteur!  » C’est tristement logique« , commentent nos interlocuteurs.  » Leur premier réflexe a d’abord été de s’intéresser aux droits d’auteurs numériques, en essayant d’en exclure les auteurs, sans proposer de nouvelles créations. Nous nous sommes d’ailleurs d’abord réunis autour de cette problématique, largement dénoncée« , explique Fabien (qui a fondé en 2010 le syndicat national des auteurs de bande dessinée en France).  » Ils ne veulent pas se tirer une balle dans le pied, persuadés qu’ils sont que le numérique siphonnera l’édition papier, complète Gwen. Ils préfèrent donc prendre le risque que d’autres leur tirent dessus, attendant de voir quels modèles vont s’imposer. Nous pensons au contraire que le numérique a le potentiel d’élargir le public des lecteurs de bande dessinée. » Les auteurs ont donc pris les devants: eux qui subissent en premier la précarisation de plus en plus forte du métier ( lire page 4) se ruent donc désormais, et en solo, vers la BD 100 % numérique. Et enfin de création.

Thomas Cadène avait montré il y a deux ans une voie à suivre avec Les Autres Gens, sorte de telenovela en dessin et en cadavre exquis, qui sans publicité particulière autre que la notoriété de ses auteurs, avait attiré près de 1500 abonnés, de quoi faire vivre le principe et rétribuer les intervenants. Parallèlement, les techniques et les modèles narratifs se sont améliorés; des logiciels tels que Comic Composer permettent de transformer presque facilement ses dessins en « motion comics » intégrant des effets de transition, de zoom ou de caméra, tandis qu’un format narratif comme Turbo Media, inventé par les auteurs Balak et Barth, est en train de devenir un véritable standard, mêlant récits dessinés et images diapos. D’autres « one shot » ont montré les possibilités narratives offertes par le numérique. On peut citer le web-comic américain Battle of the Ninth qui intègre, dans des cases fixes, des animations en 2D ou 3D, ou le très beau Art of Pho, adaptation d’une BD bien réelle, mais devenue ici réellement multimédia. Le tout, alors que le principe du « freemium » semble s’imposer comme modèle économique multimédia -une partie est en offre gratuite, le reste en offre payante. Restait à mettre en place des formules récurrentes, regroupant divers auteurs derrière une même ligne éditoriale: c’est désormais le cas.

« Le HBO de la BD »

Parmi les multiples offres de revues de BD numériques à naître ou à peine nées ( voir nos encadrés), la revue du Professeur Cyclope semble la plus prometteuse, ou en tout cas pérenne. Les auteurs ont financé eux-mêmes leur numéro zéro, mais ont presque bouclé le financement, et les modes de diffusion, de la revue mensuelle à venir.  » Nous sommes en train de conclure un contrat de diffusion avec un important partenaire audiovisuel, complète Gwen. L’idée consiste à décliner l’offre en fonction des supports et des partenaires: les lecteurs pourront s’abonner directement à la revue, d’autres pourront bénéficier de tout ou partie du contenu sur les plateformes et sites associés. On ne passera pas par l’Appstore, où Apple revendique un contrôle, très contraignant, sur le contenu. Métal Hurlant n’aurait pas pu être diffusé! Et il n’y aura pas de version papier dans un premier temps, certaines séries ne s’y prêteront d’ailleurs pas -construites par exemple sur une lecture verticale, typique du Web. Les auteurs, eux, auront des droits corrects. On a en tout cas envie de répondre à la crise par de la créativité. Les gens ne veulent pas payer pour quelque chose qui n’est pas bien. A nous tous d’avoir de l’ambition et de proposer de la qualité. » Fabien Velhmann et Gwen de Bonneval, bien entourés pour l’occasion, n’oublient donc pas leur premier métier, celui de raconteurs d’histoires:  » Là, pour Cyclope, je travaille entre autres sur une série récurrente, sorte de Goldorak repensé par HBO, remplie de robots géants! Je ne suis pas technophile, mais je sais que le support et que cette génération de geeks sont en attente « d’autre chose ». On arrive. »

TEXTE OLIVIER VAN VAERENBERGH

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