Donner sa langue à ChatGPT (édito)

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Laurent Raphaël
Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

ChatGPT est sur toutes les lèvres. Le robot conversationnel a réponse à tout ou presque. Un bon en avant pour l’humanité ou une pierre de plus dans le jardin de notre soumission aux machines?

C’est le sujet de conversation du moment. Depuis novembre et le lancement de sa nouvelle version, ChatGPT est sur toutes les lèvres, certaines enthousiastes, d’autres circonspectes, voire carrément flippées. Pour ceux qui auraient passé les fêtes au fond des bois dans une zone blanche, ChatGPT est ce robot conversationnel développé par OpenAI qui a réponse à tout. Pas comme Google qui crache ses milliers de références plus ou moins conformes à la requête initiale, mais bien en proposant une réponse sur mesure dans un langage qui imite de façon troublante le langage humain. Pour prendre une image, si un moteur de recherche, c’est le self-service, cette nouvelle interface, c’est le service à table avec un serveur aux petits soins…

Comme toujours, toute innovation qui semble marquer une rupture épistémologique suscite autant d’engouement que de craintes. Et son lot de questionnements philosophiques vertigineux. Ce fut le cas pour chaque invention majeure dans l’humanité: imprimerie, téléphone, radio, télévision et bien sûr Internet. Il faut donc d’abord se demander si ce chatbot est un véritable “game changer” ou une simple amélioration des systèmes existants.

Techniquement, on peut parler de petite révolution. Nourri de milliards de datas puisées dans les entrailles du Net (et dont la provenance pas toujours claire met à mal la notion de droit d’auteur), il est piloté par une intelligence artificielle capable d’apprendre et de se corriger. Exemple concret? Nous lui avons soumis la question absurde suivante -avec l’idée de le piéger et de tester son sens de l’humour: “Quelle était la couleur du cheval blanc de Napoléon?” Dans un premier temps, il nous a répondu bêtement “Désolé, je ne suis pas en mesure de vous dire quelle était la couleur du cheval blanc de Napoléon.” On s’est dit, c’est bon, le cerveau humain a encore de beaux jours devant lui. Mais le lendemain, on lui a reposé la même question et cette fois, il avait rectifié le tir spontanément: “Le cheval blanc de Napoléon était effectivement blanc. Napoléon Bonaparte, qui était un empereur français au début du 19ème siècle, a été connu pour monter un cheval blanc lors de ses campagnes militaires.” Assez bluffant.

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On pourrait comparer ChatGPT à un Wikipédia qui a de la conversation. Et qui peut produire à la demande aussi bien un avis juridique qu’un code informatique, un poème “à la manière de” qu’une partition de musique originale. De quoi mettre en péril une liste assez étourdissante de professions. En attendant, il rebat déjà les cartes de l’apprentissage, chaque devoir fait à domicile devenant désormais suspect (et intraçable puisque l’automate ne génère jamais deux fois la même réponse).

En outsourçant notre cerveau, ne se tire-t-on pas une balle dans le pied (ou plutôt dans la tête)? Plus l’IA se muscle, plus nos capacités cognitives se ramollissent. Sous couvert de progrès, on abandonne le savoir aux machines. J’ai la faiblesse de croire que les heures passées à l’époque dans les bibliothèques à chercher la moindre information ont musclé mon ciboulot, aiguisé son agilité.

Pour l’heure, la “matière grise” de ChatGPT est localisée sur des serveurs. Il est donc déconnecté. Même s’il fait des erreurs, il a été nourri au bon grain. En discutant avec lui, on est d’ailleurs frappé par sa prudence et son souci de ne pas se faire passer pour ce qu’il n’est pas, à savoir un humain doté de conscience. Ses réponses sont appliquées, dans la moyenne, mais sans génie. Mais que se passera-t-il quand il sera au contact de toutes les approximations, injures et théories fumeuses qui circulent sur les réseaux sociaux? Comment à ce moment-là être sûr qu’il ne se transforme pas en dangereux manipulateur au service d’idéologies toxiques? Sa maîtrise de la langue décuple ce risque. Inconsciemment, on lui accorde plus de crédit. Il est d’ailleurs symptomatique que la plupart des requêtes qui lui sont soumises ont une dimension émotionnelle. Qu’est-ce que l’amour? Qu’est-ce qu’un humain? On n’aurait pas l’idée de demander l’avis sur ces sujets à son chat ou à son chien. Mais à un robot, apparemment, oui. Pas de doute, on est mûrs pour tomber sous le charme d’une IA, comme dans Her.

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