Divines, vraie proposition de cinéma estampillée Netflix

La danse-combat entre Djigui et Dounia, séquence-clé de Divines. © DR
Nicolas Clément
Nicolas Clément Journaliste cinéma

Révélation incendiaire du dernier Festival de Cannes, Houda Benyamina signe avec Divines un premier long métrage coup de poing en quête de transcendance. Plus qu’un énième film sur la banlieue, une vraie proposition de cinéma -maladresses comprises- qui vient de débarquer sur Netflix.

En avoir ou pas. Telle est la question. Quoi? Du clitoris, pardi, selon la formule déjà culte fusant de son Divines, premier long métrage explosif qui revisite le film de filles façon brûlot de banlieue traversé de fulgurances poétiques. Du clito, Houda Benyamina, 36 ans, révélation gouailleuse du dernier festival de Cannes, d’où elle s’en est allée la Caméra d’or sous le bras, en a assurément. Et pas qu’un peu, encore bien. « J’aime le chaud, j’aime le froid, mais je n’aime pas le tiède« , assène ainsi la cinéaste française née de parents marocains, tel un inlassable mantra aux accents frondeurs. Une véritable éthique de l’intensité qui s’accommode d’autant mieux à l’écran d’une quête électrisante de transcendance s’incarnant dans la danse, l’amour, les mots: dans la lignée directe de L’Esquive d’Abdellatif Kechiche ou du Bande de filles de Céline Sciamma, Divines frappe et caresse d’une seule et même main. Celle d’un incertain destin, conjugué au féminin pluriel, dont les signes motivés se déchiffrent au confluent troublé du sacré et du profane.

Divines raconte la banlieue, ses galères, en faisant le portrait de Dounia, une femme-enfant en quête de pouvoir et de réussite, mais dont le moteur principal reste la colère…

Houda Benyamina.
Houda Benyamina.© DR

Comme Dounia, j’ai moi-même été quelqu’un de très en colère, quelqu’un d’humilié, à qui on a dit: « Tu n’arriveras jamais à rien dans la vie. » Si tu n’es pas fait pour être assis sur un banc du matin au soir, si tu es issu d’un contexte familial dit difficile, l’école, déjà, te met d’emblée en situation d’échec, elle te marginalise, te ferme la porte qui aurait pu mener à une certaine estime de toi. Comme Dounia, j’en ai nourri une rage, une violence extrême, que j’ai réussi par la suite à canaliser par le verbe, l’art, le cinéma. C’est ce que disait Épictète: « Nul homme n’est libre s’il ne sait se maîtriser. » Moi j’ai longtemps été prisonnière de ma colère. Divines parle de ça, de la manière dont on crée nos propres monstres dans une société.

La dimension spirituelle, sacrée, est très présente dans le film -l’un des personnages y converse d’ailleurs avec Dieu. Mais ces filles sont avant tout guidées par des obsessions très matérialistes, le culte de l’argent s’érigeant bien souvent en unique promesse d’une vie meilleure…

Divines, vraie proposition de cinéma estampillée Netflix
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Oui, c’est un peu le culte du veau d’or. C’est quelque chose qui remonte à la nuit des temps, cette tension entre vie intérieure et vie extérieure. Comme le dit Rebecca, la dealeuse, dans le film: « L’argent c’est un flux, une énergie, il faut l’appeler. » Parfois, les pauvres restent pauvres parce qu’ils n’osent pas être riches. Cette problématique me passionne. Parce qu’au final Dounia, qu’est-ce qu’elle veut? Elle ne cherche pas l’argent, elle cherche la dignité. Et elle pense que l’argent va lui apporter cela, une position sociale et le respect de sa cité. Le problème ce n’est pas l’argent, le problème c’est l’absence de valeurs, l’ego trip. Aujourd’hui, on est beaucoup dans la vie extérieure, dans le combat contre l’autre. Alors que le vrai combat à mener il est intérieur, c’est le combat de l’âme, l’élévation. Dans le film, la spiritualité passe par toute une série d’éléments: le chant musulman du début, la musique classique ou baroque, l’art… Plus que la religion, ce qui m’intéresse c’est la recherche du beau, du dépassement de soi, présente aussi bien dans la danse que dans l’amitié.

La transcendance se manifeste aussi dans des scènes d’amour naissant qui osent la sensualité, l’érotisme…

Des vraies scènes de cul, oui (sourire). Parce que la scène de danse dans le supermarché c’est une scène d’amour, plus sensuelle et érotique qu’une scène de sexe classique. Plus tôt dans le film, il y a aussi déjà cette scène de danse-combat entre Dounia et Djigui, son alter ego masculin, où elle se métamorphose, où elle devient femme. Avec la costumière, la coiffeuse et la maquilleuse, on a fait tout un travail de continuité de personnage pour que ça ne fasse pas comme dans ces films américains qu’on regardait sur M6 quand on était gamins, où l’héroïne est moche au début et puis on lui enlève ses lunettes, on lui lâche les cheveux, et tout à coup elle est canon quand elle arrive au bal. Il fallait une progression qui soit subtile et organique. Son ascension intervient sur ce requiem de Mozart, un requiem de la culpabilité où elle se retrouve dans une magnifique église chrétienne avec les mains au ciel en train de prier son Dieu musulman.

Le film semble souvent très spontané. Quelle est la part laissée à l’improvisation dans l’écriture?

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Le film est très écrit mais je reste ouverte aux fulgurances, à la grâce, que peuvent amener les acteurs. Oulaya a beaucoup nourri son personnage de Dounia dans une logique d’allers-retours: on testait les dialogues avec elle, puis on réécrivait avec ce qu’elle avait amené, et ainsi de suite. Quand Maimouna lui dit par exemple « Il t’a regardée comme si t’étais un Big Mac en plein milieu du ramadan« , ce n’était pas dans le scénario. Mais d’autres expressions étaient par contre très écrites: « T’as du clitoris« , « Tu frappes, tu caresses« …

On sent qu’il y a chez vous un amour du bon mot, de la phrase qui claque…

Je le dis toujours aux acteurs: il faut crâner. C’est-à-dire, selon moi, être en pleine conscience. Souvent, on est avec les gens mais on n’est pas totalement là, on n’est pas dans le corps. Mais quand on est dans le corps, eh bien quand on prend un verre on le prend vraiment, quand je vous regarde je vous regarde vraiment… Tout devient incarné. De l’endroit d’où je viens, à Viry-Châtillon, dans la cité des Érables, en banlieue parisienne, on est tous des Cyrano de Bergerac. On adore se clasher, c’est toujours à qui va avoir le bon mot. Idem à Casablanca, dans le quartier populaire où a grandi ma mère: ils ont le sens du verbe, de la vanne, ils ont une inventivité de dingue. Peut-être parce qu’ils n’ont un peu que ça à foutre, aussi. Ils ne peuvent pas aller faire du jet-ski avec le fils de Sarko…

Divines a très vite été étiqueté en tant que film de banlieue, mais c’est peut-être davantage un film de genre, qui lorgne des modèles parfois très américains d’ailleurs…

Les rêves d’ascension sociale de Dounia renvoient bien sûr à Scarface. En fait, je l’ai très tôt formulé à mon équipe: « Je préfère faire un film raté qu’un film moyen. » Du coup je me suis dit: « Rien à foutre, je fais tout ce qui me plaît. J’essaie d’être dans le corps et la vérité de mes personnages. » Ce qui fait qu’on passe de l’action à la romance ou à l’humour, de la chronique sociale à l’onirisme, d’une course-poursuite à une scène de danse… J’avais envie d’avoir cette liberté de ton et de genre. Ce qui permet par exemple de montrer tour à tour Dounia et Djigui s’approchant de leurs objectifs respectifs, radicalement dissemblables: tandis qu’il se produit sur scène, devant un public, elle s’approche de ce Dieu argent auquel elle aspire tant.

Là pour le coup, on pense très fort au fameux montage alterné entre le baptême et le massacre des rivaux dans Le Parrain de Coppola…

Divines, vraie proposition de cinéma estampillée Netflix
© DR

Complètement. Même si, évidemment, je n’ai pas son talent. Parce qu’il y a tout dans cette séquence de Coppola: la dimension politique et la dimension sacrée, la question du choix individuel et celle de la famille… Bien plus qu’un film sur la mafia, Le Parrain c’est un film sur la trahison, sur la responsabilité, sur les gènes et le poids qu’ils exercent. C’est la formule de Jodorowsky: « La famille, un trésor et un piège. »

Vos actrices et acteurs sont majoritairement non-professionnels ou passés par l’association que vous avez fondée, 1000 Visages…

Oui, c’est une association qui a pour but de démocratiser le 7e art. On organise des stages d’initiation aux métiers du cinéma à destination d’un public qui a été éloigné de l’offre culturelle, soit géographiquement soit socialement. On fait de l’éducation à l’image dans les écoles, de la détection de talents que l’on accompagne par la suite dans la création de projets personnels, via des bourses notamment ou des classes préparatoires aux grandes écoles.

Si Divines a connu une sortie en salles dans l’Hexagone, il est aujourd’hui directement diffusé dans les foyers en Belgique et ailleurs via Netflix. Vous vous positionnez comment par rapport à cette logique?

Comme je ne suis pas snob, je suis très tranquille avec ça (sourire). Moi je suis une enfant de la télé: j’ai découvert les grands chefs-d’oeuvre et développé une passion pour le cinéma devant mon poste, à la maison, quand j’étais jeune. Et qu’on le veuille ou non, la démocratisation de la culture aujourd’hui, elle passe aussi par Netflix. Puis il n’y a pas de stars dans le film. Divines est sorti dans les cinémas en Suisse et il a fait à peine 4 000 entrées. Avec Netflix, on a la garantie de toucher beaucoup plus de monde. Alors oui, bien sûr, je préférerai toujours une salle et un grand écran, mais la VOD ne sonne pas le glas de cette pratique, au contraire. Pour moi, la question du support de diffusion est une fausse question, elle ne change rien à l’ADN de ce qui est produit. Je fais un film pour qu’il soit vu et qu’il suscite une réflexion, point barre.

Divines

De Houda Benyamina, avec Oulaya Amamra, Déborah Lukumuena, Jisca Kalvanda. 1h45. Disponible sur Netflix. ***(*)

Divines, vraie proposition de cinéma estampillée Netflix

« Money, money, money! » Le film à l’origine devait s’appeler Bâtarde au singulier, à l’arrivée c’est donc Divines au pluriel… Histoire de souligner l’idée que la possibilité de transcendance se trouve en tout un chacun. En Dounia et sa copine Maimouna, par exemple, adolescentes d’une cité HLM de la banlieue parisienne que le manque patent de perspectives pousse bientôt à dealer, le culte du Dieu argent catalysant tous leurs fantasmes d’ascension sociale. La rencontre de Dounia (la révélation Oulaya Amamra, soeur cadette de la réalisatrice), boule de détermination, avec Djigui, danseur au sang chaud, viendra pourtant sensiblement bousculer la donne… Pour son premier long métrage, Houda Benyamina, gonflée à bloc, ose les références à Coppola, Scorsese ou De Palma, tout en se réclamant d’Audiard ou de Maïwenn, et trouve la grammaire formelle adéquate, tout en verticalité (ici la contre-plongée écrase tandis que la plongée élève), pour raconter la violence ordinaire avec un sens tranchant de la punchline. Riche en fulgurances (la scène, anthologique, où elles se rêvent en Ferrari à Phuket) et en ruptures de ton, souvent à la limite de l’hystérie totale, Divines électrise, contrebalançant ses multiples faiblesses et maladresses (un personnage de danseur-vigile torturé-cliché, un final très peu crédible) avec de purs moments de grâce qui emportent tout. « Je cherche Dieu dans mon cinéma« , clame celle qui rêve d’un jour consacrer un film entier au cosmos. En attendant, son prochain long métrage, une grande et ambitieuse histoire d’amour qui devrait en partie se tourner aux États-Unis avec une star du cru (les rumeurs parlent de Robert Pattinson ou de James Franco), est déjà en préparation. Pas de doute, Houda Benyamina applique au pied de la lettre sa désormais fameuse maxime répercutée par la caisse de résonance cannoise: « Les femmes doivent faire des films en mettant leur clitoris sur la table. » Dont acte.

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