Deepak Rauniyar radiographie le Népal

Après une guerre civile longue de dix ans, Chandra revient dans le village de montagne népalais où il a grandi pour enterrer son père. Là, il constate que les changements sociaux pour lesquels il s'est battu peinent à s'imposer: le système traditionnel des castes et l'oppression des femmes ont toujours voix au chapitre. © DR
Nicolas Clément
Nicolas Clément Journaliste cinéma

Le cinéaste népalais Deepak Rauniyar signe un vibrant drame humain doublé d’une radiographie sensible de son pays, toujours aux prises avec ses contradictions une décennie après une douloureuse guerre civile.

Le soleil blanc du titre du film, c’est celui qu’arbore le drapeau national de la jeune République démocratique fédérale du Népal. Un symbole d’espoir et de prospérité pour un pays toujours en transition plus de dix ans après la guerre -de 1996 à 2006, la lutte armée opposant gouvernement en place et rebelles maoïstes se solde par près de 15.000 morts. Soit le terrain miné sur lequel s’avance le nouveau long métrage de Deepak Rauniyar, chef de file d’une nouvelle vague encore timide s’autorisant enfin à représenter les bouleversements et les traumas ayant récemment eu le don de secouer la société népalaise. « J’avais 17 ans quand la guerre a éclaté. Aujourd’hui, j’approche de la quarantaine et je peux dire que ce conflit a considérablement impacté le cours de mon existence. Il y a beaucoup de moi, et des gens que je connais, dans les personnages et les situations du film. »

« J’essaie toujours d’être au plus près de la vie », ajoute encore celui qui mêle professionnels et non-professionnels devant sa caméra, encourageant les uns et les autres à improviser une partie de leurs dialogues. Faisant du paysage accidenté népalais un personnage à part entière de son film, il se réclame de l’influence d’un Abbas Kiarostami ou d’un Nuri Bilge Ceylan. « Il m’importait de représenter la dureté de la vie dans les campagnes, physiquement mais aussi moralement, et les montagnes me semblaient appropriées afin de rendre compte de cela. Les villages se vident de plus en plus aux quatre coins du pays et la vie y est majoritairement difficile. La nouvelle Constitution n’y a pas vraiment fait bouger les lignes en termes de rapports entre les hommes et les femmes ou de dynamiques de classes. » Un prétexte donc aussi pour y rejouer l’éternelle querelle entre les anciens et les modernes, noeud gordien d’un récit d’une limpidité quasiment minérale aux sobres accents mythologiques -deux frères ennemis, figurant le schisme d’un pays, amenés à collaborer pour enterrer leur père.

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Radiographie sensible d’une nation arrivée à un carrefour décisif de son Histoire, White Sun pose les bonnes questions, singulièrement quand il s’agit d’aborder le sujet épineux du respect des traditions. La mort d’un aîné -que les femmes n’ont pas le droit de toucher et qu’il n’est pas permis de faire sortir d’une habitation par sa porte principale- agissant comme un possible catalyseur de changement. « Mon but n’était pas de critiquer ces traditions, mais de réfléchir en termes plus pragmatiques: qu’est-il sensé d’appliquer et qu’est-il aberrant d’appliquer? Parfois, j’ai le sentiment qu’en perpétuant certaines pratiques de manière littérale, on ne fait que se compliquer l’existence, et on en limite parfois absurdement les possibilités. Dans le film, un vieillard meurt au premier étage de sa maison et il n’y a pas assez d’hommes pour le faire sortir par la fenêtre. La logique voudrait dès lors qu’on le fasse sortir par la porte principale, et que l’on fasse appel à des bras féminins si nécessaire -on ne va quand même pas laisser ce cadavre croupir là… Mais certains seraient prêts à se rendre la vie impossible pour ne pas déroger aux règles qu’ils ont choisi de suivre immuablement. Pourquoi? S’il y a parfois là le signe d’un état d’esprit étriqué, contraire au bon sens le plus évident, j’y vois aussi une question d’identité. Si je renonce aux principes qui me définissent, qui suis-je au final? Posé en ces termes, on voit bien que le problème n’a rien de futile. Il charrie des enjeux d’une importance capitale. En tant que cinéaste, il ne me revient pas de statuer, de définir ce qui est juste ou non, mais bien d’ouvrir la voie vers une réflexion de fond… »

Le prix de la liberté

Un petit transistor déversant ponctuellement son lot d’infos nationales rythme à la manière d’une fenêtre ouverte sur le monde le récit d’un film qui, on l’aura compris, tend vers une dimension plus globale, à même de faire résonner perspectives micro et macro. En septembre 2015, la première Constitution instituée de manière représentative entre en vigueur au Népal. Mais la violence de la guerre a laissé des traces, et le versant rural du pays peine encore à en mesurer les bénéfices. « Je suis plutôt d’accord avec le personnage de Chandra (l’un des deux fils et le véritable protagoniste du film, NDLR) quand il dit qu’il n’y a pas de paix possible sans justice. Certains sont nostalgiques d’une époque où il n’y avait aucune espèce de revendication, de rébellion, au Népal, et où il y avait donc moins de dissensions apparentes qu’aujourd’hui. Mais cette paix de façade était totalement factice. Je vous parle d’un temps où la dictature régnait et où il était impossible de se sentir libre dans le pays, où les gens préféraient tout simplement se taire plutôt que de subir les conséquences de leurs protestations. Aurait-il fallu accepter de vivre éternellement dans un régime de terreur plutôt que de se déchirer par l’entremise d’une guerre civile? C’est quelque chose de difficile à dire, mais il est parfois important d’être capable de déconstruire pour bâtir quelque chose de meilleur, une société plus ouverte, plus égalitaire, où chacun a le droit d’exprimer son ressenti, ses idées. C’est sans doute un mal nécessaire. La liberté a un prix. »

En ce sens, White Sun est aussi à envisager comme un film-cataplasme, une tentative de cicatriser la douleur, d’apaiser les blessures. « J’espère qu’il pourra amener le spectateur vers plus de tolérance, de compréhension. L’idée de faire se côtoyer des personnages déchirés dans leurs croyances et leurs convictions, c’est aussi d’en appeler à remiser autant que faire se peut les vieilles rancoeurs afin de privilégier le vivre-ensemble. Aujourd’hui, maintenant. »

White Sun. De Deepak Rauniyar. Avec Dayahang Rai, Asha Maya Magrati, Sumi Malla. 1h29. Sortie: 07/02. ***(*)

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