Quatrième long métrage de Samira Makhmalbaf, Two-Legged Horse est une parabole étonnante sur le pouvoir. Dur et tendu, le film a été conçu en famille…

Chez les Makhmalbaf, le cinéma est avant tout une affaire de famille. En douterait-on qu’un coup d’£il au générique de Two-Legged Horse (L’enfant-cheval), le nouveau film de Samira, suffirait à s’en convaincre. La cinéaste iranienne y est encadrée de son père, Mohsen, réalisateur renommé et, pour le coup, scénariste et monteur, de sa mère, Marziyeh Meshkini, assistante à la réalisation, et de sa s£ur Hana, photographe de plateau et réalisatrice du making of. En toute logique, le film est produit par la Makhmalbaf Film House, comme les autres réalisations d’une famille où l’on est metteur en scène de père en fille. « Mon père m’a donné l’amour du cinéma, explique la jeune cinéaste, rencontrée à l’occasion du festival de Gand. C’est une graine qui a grandi en moi. Aussi loin que je me souvienne, j’ai vu mes parents parler de cinéma, et en partager leur amour ainsi que leur conviction profonde qu’il pouvait vous ouvrir sur le monde. »

L’inspiration de son quatrième long métrage, la réalisatrice du Tableau noir ne la doit d’ailleurs à nul autre qu’à Mohsen Makhmalbaf: « Il m’a un jour tendu un scénario qu’il venait d’écrire, en me disant d’en faire un film s’il me plaisait. A la lecture, ce script m’a choquée: pourquoi écrire une histoire si désespérée, amère et sauvage? A quoi mon père m’a répondu: que t’attendais-tu à me voir écrire, en vivant dans une situation sociale et politique si difficile en Iran? Comment décrire d’une autre façon les relations cachées entre les gens dans une société qui se donne les apparences de la modernité tout en restant primitive? Comment décrire autrement les relations au sein d’une société totalitaire? » Intriguée et ébranlée, Samira Makhmalbaf n’en commence pas moins par décliner la proposition: « Je ne voulais pas traiter cette histoire, j’ai donc tenté de l’oublier pour passer à autre chose. » En pure perte, toutefois, la jeune femme se découvrant littéralement habitée: « Two-Legged Horse est plus vrai que la réalité. C’est un cauchemar dont on réalise, lorsqu’on ouvre les yeux au petit matin, que la tragédie du quotidien n’en est que le prolongement… »

Tourné dans un village afghan, faute d’avoir obtenu l’autorisation de le faire en Iran, L’enfant-cheval unit deux jeunes garçons. Le premier, fortuné mais infirme, engage le second, demeuré et pauvre, afin qu’il le porte sur son dos. Une relation étrange s’installe entre eux, faite de cruauté et de soumission, mais encore d’amour et de haine, et enfin de dépendance mutuelle. « Le film ne parle pas seulement de la relation entre une autorité totalitaire et la société, mais aussi de nos relations individuelles, poursuit la cinéaste. C’est l’histoire d’une métamorphose. Auparavant, je souscrivais aux théories darwiniennes voulant que l’homme descende de l’animal. Désormais, je pense qu’à l’image de l’enfant-cheval, l’homme, dans certaines conditions, et sous l’autorité d’un pouvoir qu’il a lui-même créé, se transforme en animal. Il suffit de voir la violence qui affecte les comportements humains contemporains. » Et d’ajouter, comme en écho à une perspective pour le moins funeste: « Je m’en réfère à ce qu’a dit Freud sur la civilisation: la civilisation est comme une fine couche de glace sur un océan de sauvagerie, d’ignorance et de violence. Cette couche va craquer un jour et l’océan surgir… »

Armé d’outils symboliques forts, Two-Legged Horse tutoie aussi les extrêmes. « J’ai voulu voir jusqu’où pouvait aller une relation entre deux personnes et ce qu’était prêt à endurer quelqu’un pour satisfaire ses besoins propres, approuve Samira Makhmalbaf . Je veux nous confronter à ces questions, tout en étant consciente que certains passages peuvent mettre mal à l’aise le public: je parle d’une violence de comportement qui n’est pas celle à laquelle recourt le cinéma hollywoodien, qui n’a d’autre objet, en un sens, que de nous habituer à la violence. Mon film parle d’une réalité qui existe. Il n’est pas l’écho d’un ailleurs, mais reflète une partie de la condition humaine. Fermer les yeux ne pourrait que renforcer cette réalité. » Et de s’arrimer, néanmoins, à un espoir: « Au-delà de ce qui est dit dans le film, il y a ce que chacun d’entre nous peut créer: dans quel monde avons-nous envie de vivre?, voilà le type de réflexion que j’espère susciter… »

Rencontre Jean-François Pluijgers

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content