De notre envoyé spécial sur Internet, un point sur la Guerre mondiale…

Dennis Hopper dans Apocalypse Now (1979). © ISOPIX/Omni Zoetrope/United Artists film
Serge Coosemans
Serge Coosemans Chroniqueur

Il est bien naïf de penser que nous en sommes toujours à l’époque où discuter sur Internet revenait à tenir un zinc virtuel et convivial. Sur les réseaux, une guerre culturelle mondiale a cours. C’est lassant et pas forcément fun. Encore que… Lassitudes et énervements, c’est le Crash Test S03E34.

Une nuit des années 1990, avec sa fille, on a fait la fête dans le château d’un artiste riche, fou et mort quelques semaines plus tôt. Chargé à la cocaïne, avec autant de grammes dans les narines que dans la boîte à gants, le type avait trouvé très drôle de forcer un barrage de routine établi par la gendarmerie. Un bête barrage, le genre où après avoir soufflé dans le ballon, on repartait généralement avec un porte-clés. Le type était connu dans la région, l’excentrique du coin. Dans son délire narcotique, il imaginait probablement rentrer à toute berzingue au château avec trois combis de gendarmerie au train et puis offrir le champagne aux bleus et finir la nuit à poil ou le képi de travers en faisant des farandoles au son de Sergent Flagada. L’ennui, c’est qu’un jeune pandore qui n’était justement pas de la région a sorti son flingue, a visé le pneu et a tiré. Or, tirer sur un pneu, ça n’arrête pas un véhicule lancé à grande vitesse, ça le fait valser dans le décor. La voiture de l’artiste est donc sortie de route, s’est encastrée contre un arbre, le type est passé au travers du pare-brise, s’est aplati la tête contre ledit arbre et en est mort sur le coup. Pourquoi je vous raconte ça aujourd’hui, moi? Eh bien, parce que sur Twitter, ces derniers jours, il m’a semblé que beaucoup ignoraient ce fait établi: tirer sur un pneu n’arrête pas un véhicule lancé à grande vitesse, il le ferait plutôt souvent valser dans le décor. C’est dangereux, donc. Que le type le pif plein de schnouff n’avait qu’à ne pas fuir la gendarmerie est une opinion. Que les flics ont le droit de faire ce qu’ils estiment devoir faire pour imposer la loi est une autre opinion. Mais qu’une balle dans un pneu n’arrête pas un véhicule, mais le ferait plutôt valser dans le décor n’est pas une opinion. C’est un fait. Et quand on discute aujourd’hui sur Internet à propos d’une affaire similaire bien que drôlement plus sinistre encore sans ne jamais mentionner ce fait, moi, je décroche de dégoût. Je me sens même carrément comme Charlton Heston à la fin du deuxième Planète des Singes, quand il appuie sur le détonateur de la bombe Alpha & Omega en maudissant humains, singes et mutants.

La grande lassitude pour les choses du Net que je ressens en ce moment est assez générale, cela dit. Je n’exclus pas de bientôt laisser Facebook en jachère. Je ne m’excite plus comme avant sur la moindre connerie publiée, je n’ai plus le même plaisir sportif à troller les pompeux cornichons. J’aime bien l’idée de couvrir les guerres culturelles en cours, mais je n’ai pas vraiment envie d’y participer. J’en suis venu à voir Twitter comme un enclos de tamagotchi continuellement en bagarre, un Westworld où les Indiens scalperaient en continu les cowboys tandis que derrière une vitre protectrice, le public du XXIe vaquerait à des occupations plus enrichissantes que de rester le cul vissé devant ce vieux scénario tout pourri. C’est que sur les réseaux sociaux, chacun garde désormais son rôle, s’est transformé en caricature. Et moi, j’en ai ma claque des indignés permanents, des féministes confuses, des connards d’extrême droite, des justiciers hystériques, des coupeurs de cheveux en quatre et des geeks gagatisant sur des films eux-mêmes devenus des caricatures de blockbusters, de simples formules.

Combattre les u0022fake newsu0022? Commencez donc par un cours d’histoire de la presse et quelques examens de conscience.

Si chaque heure me rapproche donc de la saine indifférence aux réseaux, il reste tout de même deux choses qui m’énervent grave, mais alors grave en ce moment sur Internet. La première, c’est tout ce récent délire autour de la chasse aux « fake news ». Nous allons former les jeunes journalistes, gnagnagna. Nous allons éduquer le public et les écoliers, gnagnagna. Nous allons garantir une information fact-checkée, gnagnagna. Okay, je suis né cynique et contraire. Okay, je suis de la génération Timisoara (le charnier en mousse de Ceaucescu) et Desert Storm (trois semaines de troisième Guerre mondiale dans le désert par Michael Bay, en 1991). Okay, ça fait presque 25 ans que je place mes bafouilles dans des rédactions and I’ve seen things you people wouldn’t believe. Voilà qui explique sans doute les questions de vieux briscard multivacciné que je me pose: peut-on faire plus hypocrite que la chasse aux « fake news »? Peut-on tenter de vendre encore davantage de vent? Peut-on trouver encore plus minable comme, heu… « fake news » que la chasse aux « fake news »? Sinon, vous croyez vraiment que le projet Pravda d’Elon Musk va traquer les « fake news » et n’est justement pas une dénonciation de ce que l’idée a de totalitaire et propagandiste? Vous pensez vraiment que c’est aux technocrates de la Commission européenne de décider ce qui est propagande et ce qui ne l’est pas? Genre les types qui laissent vendre des armes en schmet, partir le fric dont certains peuples ont pourtant drôlement besoin se faire bronzer offshore et circuler le glyphosate, vont décider ce qu’est l’actualité. Ben, tiens.

Combattre les « fake news »? Commencez donc par un cours d’histoire de la presse et quelques examens de conscience, ce qui permettrait déjà de distinguer la moderne « fake news » à la Vladonald Poutrump du « politiquement orienté », du « renvoi d’ascenseur », du « billet de complaisance », de la « mise au frigo », de la « censure sous forme d’achat d’espaces publicitaires » et autres pratiques qui ont toujours bien davantage tenu de la norme que de l’exception depuis que la presse et le métier d’informer existent. Question bonus: qu’est-ce qui est d’ailleurs le plus fake? Une propagande gouvernementale arrogante ou les couillonnades publiées en toute bonne foi par des journalistes qui ne savent pas de quoi il en retourne vraiment, mais le vocifèrent malgré tout. Un exemple récemment croisé dans ma propre petite vie de relecteur occasionnel: évoquer les sommets de la carrière de Charlotte Rampling en citant Embrassez qui vous voudrez et Never Let Me Go, mais pas Portier de nuit, ni Les Damnés. Attribuer à des auteurs britanniques de premier plan la nationalité japonaise et américaine parce que l’un a un nom à consonance nippone et l’autre est mort à Los Angeles. Bref, est-ce que combattre la « fake news » ne commencerait simplement pas par un geste simple: se raser la touffe du creux de la main et apprendre à ouvrir les pages Wikipédia, pas juste se contenter d’en lire la première ligne sur Google?

La deuxième chose qui m’énerve bien en ce moment sur le Net, c’est cette bagarre autour de l’affirmation que l’on ne pourrait plus rien dire. Évidemment que l’on peut tout dire, la parole n’a même jamais été aussi libre, disponible et portée par une énorme caisse de résonance. Seulement quand on cause au travers d’un tel beuglophone et qu’on y déblatère de grosses conneries, il ne faut tout de même pas s’étonner de se ramasser en retour des critiques, des moqueries et même des menaces et des pressions. C’est qu’il est bien naïf de penser que nous en sommes toujours à l’époque où discuter sur Internet revenait à tenir un zinc virtuel et convivial. Sur ces réseaux, une guerre culturelle mondiale a cours. La parole non alignée s’y fait rare, tout ce qui s’y dit est interprété au travers de grilles idéologiques et rattaché à un camp ou à l’autre. Les guignols drôles et paumés d’il y a encore quelques années sont devenus de bons petits soldats de l’alt-right ou des brigades internationales de défense du politiquement correct. Il y a des grilles de lecture, des éléments de langage, de l’idéologie, des tables de loi et des méthodes. Et donc, moi, je ne m’y retrouve nulle part. Je n’aime pas les beaufs de droite que flippe l’avenir de la charcuterie et la couleur de la bite qui dépucèlera leurs filles. Je n’aime pas non plus leurs ennemis naturels, le genre à penser que si on aime Répulsion et Le Locataire, on tolère forcément la pédophilie et que traiter les gens de cons est surtout insultant pour l’appareil reproductif de la femme. Je ne veux pas faire partie de ça. That joke isn’t funny anymore. Sauf à bonne distance. Reporter de guerre culturelle, quelle étrange reconversion…

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