Quatre ans après, Top of the Lake revient

Elisabeth Moss, à nouveau exceptionnelle dans une série à la fibre féministe. © See-Saw Films/Sally Bongers
Jean-François Pluijgers
Jean-François Pluijgers Journaliste cinéma

Quatre ans après la première saison, Jane Campion redéploie l’univers sombre et tortueux de Top of the Lake à Sydney, où Robin Griffin -Elisabeth Moss, exceptionnelle- plonge en eaux troubles en tentant d’élucider le meurtre d’une jeune Asiatique…

Créée en 2013 par Jane Campion et Gerard Lee (co-scénariste, 25 ans plus tôt, de Sweetie, le film qui révélait la cinéaste), Top of the Lake avait fait l’effet d’une déflagration dans l’univers des mini-séries, la réalisatrice de The Piano ancrant ce sombre et tortueux thriller au féminin dans un horizon élégiaque comme pour en multiplier encore l’intensité. Quatre ans plus tard, le lac haut-perché de Nouvelle Zélande ne donne plus que son titre à la série, qui délaisse la nature sauvage et (presque) immaculée pour le cadre urbain de Sydney, perdant sans doute au passage une part de son mystère (et, accessoirement, son lien diffus avec Twin Peaks), sans pour autant y sacrifier son essence.

Nicole Kidman
Nicole Kidman

Recherche de maternité

La disparition d’une fillette enceinte occupait tous les esprits dans la levée initiale, sa recherche semblant devoir épuiser les variations du désenchantement. C’est cette fois la découverte du cadavre d’une jeune Asiatique -nom de code China Girl, dont on découvrira qu’on la surnommait également Cinnamon- recraché par l’océan sur la plage de Bondi dans une dérisoire valise rose, qui va servir de carburant initial aux six épisodes d’une seconde saison réalisée alternativement par Jane Campion et Ariel Kleiman (auteur, auparavant, du thriller Partisan, avec Vincent Cassel). Et mobiliser bientôt l’attention de l’inspectrice Robin Griffin (Elisabeth Moss, retrouvant avec bonheur le rôle lui ayant valu un Golden Globe), reprenant du service au sein de la police de la métropole australienne auréolée du démantèlement d’un réseau pédophile. Un bloc de détermination farouche selon toute apparence, mais pas moins tourmentée ni vulnérable pour autant, hantée qu’elle est notamment par une lettre de sa fille, Mary (Alice Englert, fille de… Jane Campion), abandonnée 17 ans plus tôt, quelques jours après sa naissance des conséquences d’un viol. Et dont elle va découvrir qu’elle a été adoptée par un couple aisé de Sydney, Pyke (Ewan Leslie) et Julia (Nicole Kidman), non sans s’être enamourée de « Puss » (David Dencik), un quadra au profil incertain vivant au-dessus d’un bordel « recrutant » sa main-d’oeuvre en Asie…

Format étiré aidant, l’enquête à suivre, associant Robin Griffin à une jeune recrue, Miranda Hilmarson (Gwendoline Christie, révélée par Game of Thrones), paire mal assortie mais néanmoins complémentaire de facto dès lors qu’il faudra se colleter avec l’inconnu, va creuser dans de nombreuses directions, toile inextricable s’enrichissant d’intrigues secondaires (réapparition d’Al Parker comprise), flash-back traumatisant, zones d’ombre et autres visions cauchemardesques venues tacheter l’ensemble d’une part d’étrangeté. Plus encore que dans sa mise en scène régulièrement virtuose, dans son appréhension de l’espace urbain notamment, la réussite de China Girl tient à son écriture, qui combine rythme sinueux, suspense haletant (assorti d’une capacité éprouvée à balader le spectateur) et densité du propos. « L’idée de se relancer sur une nouvelle saison m’a d’abord accablée: c’est tellement de travail!, confie Jane Campion dans sa note d’intention. Pour en retrouver la force, il fallait travailler avec une matière fascinante, qui nous interpelle au plus profond de nous. Je souhaitais changer d’environnement. Suivre la même inspectrice, mais plus tard dans sa vie, face à une histoire entièrement nouvelle. Avec Gerard, nous avons décidé de parler de ce qui nous occupe au quotidien: essentiellement, on s’inquiète pour nos enfants et on se demande s’ils iront bien! Nous nous sommes dit qu’il fallait explorer la parentalité. » Et le scénario à tiroirs de se concentrer sur cette dernière, envisagée par Campion dans son versant maternel essentiellement, tant il est vrai que si les rapports de force entre hommes et femmes en constituent un motif, la série affiche une fibre toute féminine sinon féministe.

Gwendoline Christie
Gwendoline Christie

Une maternité intranquille et angoissée, en l’occurrence, voulant qu’à l’épisode intitulé La Guerre des mères, écho à la rivalité entre mères biologique et adoptive d’une adolescente s’avançant en eaux troubles, en réponde un autre, Mère porteuse, entraînant l’intrigue en terrain mouvant, dès lors qu’elle envisage la grossesse pour autrui dans son versant clandestin. L’on y verra, du reste, l’une des multiples déclinaisons de l’exploitation du corps féminin qui donnent sa toile de fond à un récit d’une noirceur assumée. Mais si Top of the Lake évoque quelque lente dérive au gré des failles des un(e)s et des autres, il émane pourtant de ce thriller hors-normes une grâce paradoxale, tenant à la pointe d’espoir qui s’y faufile comme en contrebande, ou à l’envoûtante beauté qui lui vaut une respiration occasionnelle. À quoi Jane Campion ajoute cet humour un peu barge venu déjà pimenter la première saison. L’apport de Gwendoline Christie est à cet égard incontestable, qui en fait le contrepoint idéal à Elisabeth Moss, exceptionnelle dans toutes les nuances du gris. Quant à Nicole Kidman, en bourgeoise altière venant de faire son coming out lesbien, elle livre, pour ses retrouvailles avec Jane Campion 20 ans après The Portrait of a Lady, un numéro d’anthologie, n’ayant guère à envier à celui de Holly « GJ » Hunter dans le volet précédent. C’est dire…

Top of the Lake – China Girl. Série dramatique de Jane Campion. Réalisation Jane Campion et Ariel KleimaN. Avec Elisabeth Moss, Gwendoline Christie, Nicole Kidman. Six épisodes d’une heure. À partir du 07/12 sur Arte, disponible sur Arte+7. ****

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