Laurent Raphaël

Cher Jean-Paul,

Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

Tu me permets de te tutoyer. Après tout, en tant que parrain de l’audiovisuel de service public, tu fais un peu partie de la famille élargie. Très honnêtement, j’aimerais pas être dans tes sneakers en ce moment. C’est l’heure de la récolte de fonds pour toi. Ton Viva for Life à toi tout seul.

Comme tous les cinq ans, t’es bon pour une danse du ventre chez ton n+1 en espérant lui faire avaler un contrat de gestion encore plus flou que le précédent, histoire que les emmerdeurs professionnels ne puissent plus agiter sous ton nez ta feuille de route quand tu confonds service public et kermesse au boudin -ne t’énerve pas JP, c’est pas moi qui le dis, c’est ce mauvais coucheur du collectif « La RTBF nous appartient« , Mathieu Richard, qui a le culot d’exiger qu’on te serre un peu la vis en limitant ton autonomie à la barre du navire. Même que si on continue à te lâcher la bride, tu vas finir par faire des jaloux chez les crevards du Bel 20. Parce que, eux, ils ont des actionnaires aux fesses alors que toi t’es seul maître à bord (après le PS, ok). Je suis d’accord avec toi, c’est mesquin, et puis c’est pas non plus comme si tu réquisitionnais les hot spots publicitaires ou les abribus pour faire la promo des émissions culturelles (je rigole) comme The Voice ou Sans Chichis qui jouent déjà sur du velours dans tes grilles télé… Pourquoi se priver après tout puisque le peuple en redemande?

Pendant que tu te tapes le sale boulot, tes ouailles, ces ingrats, te plantent des épines dans le pied gauche et dans le pied droit. Comme si t’avais pas déjà assez à faire avec les hordes de complotistes, de bouffeurs de gauchos, d’enragés du libéralisme, qui te mordent les mollets et t’accusent presque de diriger une 5e colonne soviétique. C’est tellement injuste. Ils n’ont pas vu tous les efforts que tu faisais pour transformer l’usine à gaz en centre commercial très grand public: placement de produits, relégation des émissions intellos ou sérieuses sur La Trois ou à des heures indues, divertissement à tous les étages, projet éducatif réduit à peau de chagrin…

Mais revenons à nos moutons noirs. Pour le cas Maréchal, faut dire mon JP que tu l’as un peu cherché. À force de l’envoyer sur le front de la connerie, il a fini par sauter sur une charge creuse. Rouler dans le caniveau, c’est risqué. Une route glissante, une invitée en roue libre et bardaf, c’est l’embardée. Cette histoire tombe mal. D’autant que le Maréchal, s’il se mouche dans les tentures, qu’est-ce qu’il ratisse large! Comme attrape-couillons, on ne fait pas mieux.

Cher Jean-Paul, pourquoi ne pas te concentrer sur tes trois missions de base -u0026#xE9;duquer, informer et distraire-, qui sont aussi celles de la BBC tiens?

Là-dessus, voilà que le grand sage de l’info se fait prendre en flagrant délit d’opinion. Eddy Caekelberghs, qui s’emploie depuis Mathusalem à rehausser le débat à l’heure de l’apéro, est écarté illico (1) pour avoir envoyé un mail -privé- où il dézingue la politique migratoire du gouvernement. Je ne sais pas ce que t’en penses mais ça pue le coup monté, cette affaire. Réfléchis un instant. Un socialiste, Marcourt, allume la mèche du pétard Maréchal. Et quelques semaines plus tard, le libéral en chef, Chastel, se paie le scalp -ou en tout cas quelques mèches- d’Eddy le rouge. Fais gaffe, les mauvaises langues vont encore dire que les politiques tirent toutes les ficelles dans ta boutique, et que ton indépendance est à géométrie variable…

Non franchement, je te plains. Si j’étais toi, rien que pour sauver l’honneur, je tenterais le tout pour le tout: je reviendrais aux fondamentaux du service public, je récompenserais les plus audacieux, les plus téméraires, je prendrais des risques, je flinguerais les recettes faciles, les petites compromissions, je pousserais le public vers le haut, je l’inonderais de gai savoir même si ça lui demande un effort, je parierais sur la création, sur l’éducation, sur l’intelligence, sur l’imagination. Ça tombe bien, on fête bientôt les 50 balais de Mai 68, ça pourra te servir de prétexte. Et l’audience, tu me diras, qu’est-ce que j’en fais? Laisse-la à tes concurrents du privé, c’est leur business, leur cauchemar. Pourquoi ne pas te concentrer sur tes trois missions de base -éduquer, informer et distraire-, qui sont aussi celles de la BBC tiens, qui n’est quand même pas un manche en la matière.

Chiche?

(1) N.B.: Caekelberghs est de retour à l’antenne depuis ce jeudi.

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