Once upon a time in… Chernobyl (conte de l’été 2019)

Chernobyl © HBO
Serge Coosemans
Serge Coosemans Chroniqueur

Cette cinquième saison de Crash Test commence par le conte de l’été 2019: une journaliste publie une bêtise sur la série Chernobyl, elle se fait virtuellement lyncher, l’article est repéré par Russia Today et cette médiatisation fait qu’un héros oublié de la catastrophe devient une vedette médiatique. Crash Test S05E01, du fort vilain qui se termine plutôt bien.

Il était une fois… l’été 2019 des médias et des réseaux sociaux. On y vécut une période de grandes tribulations, on y connut l’instabilité émotionnelle et les querelles idéologiques. La sociologie de comptoir y devint un sport de combat. La dernière comédie pop-corn trash de Quentin Tarantino mettant en scène deux losers fictifs et une bande de meurtrières bien réelles fut décrite comme « une glorification du mâle alpha« . La séparation de Miley Cyrus et Liam Hemsworth fut considérée non plus comme de la simple barbaque pour tabloïds mais carrément comme « un coup dur pour le patriarcat« . D’abord sur les réseaux sociaux, ensuite dans un journal britannique de premier plan, une jeune journaliste de type « woke » se permit aussi de se demander publiquement pourquoi il n’y avait pas plus de « personnages interprétés par des acteurs de couleur » dans la série Chernobyl; ce carton produit par la chaîne HBO et acclamé pour son ultra-réalisme et son sens du détail historique. Forcément, dans la foulée, on s’invectiva, on s’insulta. Il reste permis de penser que c’était en fait le but.

« Le manque d’inclusivité dans une série qui a pour cadre l’URSS de 1986« , les Monty Python en auraient fait un tout bon sketch du temps de leur Flying Circus. 50 ans après leur gloire, dans cette étrange ambiance dystopique qui formate désormais notre quotidien, cette argumentation passe pourtant désormais pour totalement acceptable. Mieux: elle a carrément droit aux honneurs des pages du Guardian, pas rien tout de même. Ça n’en rend pas l’argumentaire moins absurde. En gros, voici en effet ce que défend la jeune femme: si les acteurs de Chernobyl, plutôt que de parler dans la série avec un faux accent russe ou ukrainien, ont tous gardé leurs véritables accents (Manchester, cockney, irlandais…), pourquoi ces personnages ne pourraient-ils pas être interprétés par des acteurs noirs ou asiatiques? Réponse évidente: parce que c’est une idée complètement con.

Brad Pitt dans le rôle de Nelson Mandela

Sérieux, quoi. L’idée que l’acteur noir Idris Elba puisse interpréter James Bond est discutable pour tout un tas de raisons mais également défendable pour tout un tas d’autres raisons. Mais James Bond est et restera un personnage de fiction. Dans l’absolu, on peut donc en faire tout ce que l’on veut. Tout oser. On peut en malaxer le concept. Le revisiter. Le rebooter. Le féminiser. Le genderfluidifier. D’accord, les scientifiques soviétiques de Chernobyl sont aussi des personnages de fiction. Mais pas autant que James Bond. Ils sont basés sur des personnes qui ont réellement existé. Des personnes russes et blanches. Chernobyl n’est pas Star Trek. C’est une série historique mettant en scène un accident nucléaire réel, un récit largement basé sur La Supplication, l’effrayant reportage de Svetlana Alexievitch, la géniale Nobel russe. Proposer qu’un acteur noir joue un scientifique soviétique à Tchernobyl est donc tout aussi absurde que de donner à Brad Pitt le rôle principal du biopic de Nelson Mandela. Ou, quand on fera une mini-série sur Fukushima, faire interpréter le directeur de la Tepco par Samuel L. Jackson (« That’s a very baaaad muthafucka tsunami you got there, nigga!« ).

On aurait pu en rester là. Démonter l’absurdité grotesque de la proposition avec le sourire, fut-il carnassier. Mais rappelez-vous, c’est dans le monde troublé des réseaux sociaux et des médias de l’été 2019 que ceci s’est passé. Et donc, histoire de faire payer à cette journaliste son petit délire concon, on lui a bien évidemment envoyé sur les réseaux sociaux une tempête de réponses racistes, homophobes, transphobes et misogynes. Des menaces de mort aussi, encore que ce « Please die, thanks » qu’elle donne en exemple tient moins de la pression inacceptable que d’une nouvelle façon d’inviter à aller se faire cuire un oeuf, mais bon. On a retrouvé les coordonnées de cette femme, doxxé sa famille. Cet article a aussi été repris et traduit par les médias russes, parmi lesquels le très olé olé Russia Today. Re-insultes, re-menaces. Mais c’est aussi là, en Russie, que la stupidité et l’horreur se sont transformées en conte de fées moderne. Suite à cet article sur RT, des blogueurs russes ont en effet retrouvé la trace d’un ex-soldat soviétique qui a participé à l’évacuation de la zone de Tchernobyl et s’avère être… noir.

Son nom: Igor Hiryak, à l’époque milicien de 17 ans, aujourd’hui ouvrier d’usine. L’homme est depuis souvent apparu à la télévision et dans les médias russes. Il donne des interviews, a remercié la journaliste anglaise d’en avoir fait un héros de l’été par ricochet et avec 33 ans de retard. Certains en sont à penser qu’il existe sans doute d’autres gars comme lui, des Russes d’origine africaine qui auraient pu être militaires ou pompiers à l’époque de la catastrophe. On l’ignore. On n’est pas non plus certain qu’ils aient forcément survécu. Être noir en Russie n’est pas une sinécure: sur plus de 147 millions d’habitants recensés dans la Fédération, on estime aujourd’hui à seulement 50.000 personnes le nombre de ressortissants afro-russes. Le sujet est passionnant. L’histoire des liens entre l’Afrique et l’URSS est passionnante. On pourrait et on devrait tout à fait en faire une série télévisée. Forcément, sans acteurs blancs dans les rôles principaux. Là, on est d’accord.

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