Le premier Brussels Podcast Festival, « progressiste, féministe, inclusif et sensible aux questions de la diversité »

Binge en scène, où quand l'une des principales plateformes de podcast françaises part à la rencontre de ses auditeurs. © LAURA GILLI
Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Du 28 février au 1er mars, l’Atelier 210 accueille le premier Brussels Podcast Festival. L’occasion de se pencher sur un phénomène Internet qui, des plateformes de streaming aux médias « traditionnels » en passant par les maisons d’édition, continue son irrésistible expansion. Tout en continuant à cultiver ses dissidences…

« On pensait que le Net allait consacrer définitivement la domination des images, alors qu’en réalité, il a permis un nouvel d’âge d’or pour le son! » A l’autre bout du fil, Silvain Gire a l’enthousiasme débordant des pionniers. En 2002, avec Christophe Rault, ils fondaient Arte Radio, une radio Web à la demande, proposant des émissions, reportages et autres créations sonores, que l’on n’appelait pas encore podcast: le mot porte-manteau n’est apparu que deux ans plus tard. Depuis, le terme est devenu un format Web incontournable. Ces trois dernières années, il a même vu son audience et sa production décoller. Dans une étude, publiée en décembre dernier, le Reuters Institute estimait que quelque 90 millions d’Américains écoutaient au moins un podcast par mois – le double de 2015. En France, un sondage de Médiamétrie citait, lui, le chiffre de quatre millions de personnes « consommant » régulièrement des contenus audios en ligne.

Et en Belgique? Si les chiffres manquent, certains indices ne trompent pas. Depuis 2017, la RTBF a investi dans la création de podcasts originaux – sa cellule webcréation vient encore de lancer deux nouveaux appels à projets (l’un sur les 60 ans de l’indépendance du Congo, l’autre sur le prochain Euro de football). « Un podcast comme C’est tout meuf, par exemple, a réalisé un joli score d’audience », relève François Custers, de l’Atelier 210, à Bruxelles. « En discutant avec des acteurs du domaine en France, où l’on est déjà plus avancé, notamment sur l’analyse des audiences, on constate aussi que la Belgique est souvent le deuxième territoire en matière de taux d’écoute, devant la Suisse ou le Québec. » Traduisez: si le monde belge du podcast est encore embryonnaire, le public, lui, est bel et bien présent. Assez, en tout cas, pour voir la salle multidisciplinaire, plantée à Etterbeek, se lancer dans la création du tout premier Brussels Podcast Festival.

François Custers, coordinateur général du premier Brussels Podcast Festival.
François Custers, coordinateur général du premier Brussels Podcast Festival.© DR

L’événement démarrera le 28 février et durera trois jours. Au programme, des sessions live, des débats, des créations sonores en direct, etc. Cela fait un moment que l’idée mûrit du côté de l’Atelier 210. Notamment à la faveur de ses Blow Out Sessions: inaugurées en 2016, elles invitent les curieux à venir écouter des créations radiophoniques dans le noir le plus complet. François Custers, coordinateur général du projet, explique la suite: « En 2018, on s’est rendu à la première édition du Podcast festival de Paris. Cela nous a convaincus qu’il y avait aussi quelque chose à faire du même type à Bruxelles, peut-être même en mieux, ou en tout cas différent, avec un côté plus participatif. » Ils ne sont d’ailleurs pas les seuls à ruminer l’idée. Elisabeth Debourse, journaliste, membre du comité de programmation des Blow Out et du festival, raconte: « En en discutant, on s’est rendu compte que d’autres partageaient cette envie. On a alors parlé tous ensemble pour mutualiser les énergies. Cela n’avait pas de sens de se tirer dans les pattes. » « Nous avons par exemple rédigé un questionnaire, poursuit François Custers. Un simple Google Forms d’une douzaine de questions, envoyé aux acteurs intéressés. Cela a permis d’asseoir aussi la philosophie d’un festival pour et par les fans de podcasts. »

Du Net à la scène

L’exercice pourrait sembler périlleux: comment transformer ce qui tient de l’écoute solitaire en un spectacle public? Du côté d’Arte Radio, par exemple, Silvain Gire, invité au Brussels Podcast Festival, pratique l’exercice depuis un moment. « C’est très simple, j’accueille les gens, je fais des blagues, et puis je lance un premier son assez court, souvent un peu drôle, pour mettre tout le monde à l’aise, même ceux qui ont pu être effrayés par la bannière Arte à l’entrée (rires). » Plus sérieusement, il précise encore: « Certains tiquent parfois quand je diffuse des extraits qu’ils ont déjà pu écouter auparavant. Mais à chaque fois, ils reviennent vers moi en me disant qu’ils l’ont entendu autrement, qu’ils ont même parfois découvert de nouvelles choses. » « Le podcast reste un énorme terrain de jeu, enchaîne François Custers. Il ne peut qu’amener de la créativité et des surprises. » A Bruxelles, il sera donc question, forcément, de podcasts stricto sensu – comment les financer? les fabriquer? -, mais aussi de bouffe, d’émotions, d’enquêtes au long cours, de justice climatique ou de luttes féministes.

Le « phénomène » du podcast est devenu aujourd’hui assez important pour intéresser les maisons d’édition.

Deux exemples parmi d’autres: Charlotte Bienaimé viendra présenter un épisode inédit de son Podcast à soi, émission phare d’Arte Radio consacrée aux questions de genre, avant d’en discuter avec le public. « C’était important, souligne Elisabeth Debourse, qu’on retrouve cette dimension d’échange, que le public ne vienne pas juste assister passivement à des enregistrements. » De son côté, Les Chemins de désir de Claire Richard se rapprochera plus de la « performance », entre « lecture, jeu, musique, bruitages, sons et comédiennes ». Là aussi, il s’agit de l’un des programmes les plus en vue d’Arte Radio. Il a été créé pour accompagner la sortie en librairie du livre éponyme, publié par le Seuil. C’est la preuve que le « phénomène » du podcast est devenu aujourd’hui assez important que pour intéresser les maisons d’édition. Produit par Binge Audio, l’une des principales plateformes de podcast françaises (avec Louie Media, Slate, Nouvelles écoutes, etc.), Les Couilles sur la table de Victoire Tuaillon est l’un des plus écoutés en France. Et désormais également un livre, paru à l’automne dernier.

La deuxième oreille

Victoire Tuaillon sera présente à Bruxelles – pour la soirée Binge en scène (déjà sold out), mais aussi, le lendemain, lors d’une rencontre organisée par la librairie Tulitu (également complète). Ces dernières semaines, la journaliste a eu droit à des portraits dans Libération ou Le Monde. Ce n’est pas sans doute pas un hasard si son travail bénéficie aujourd’hui d’une telle mise en lumière. Son travail de déconstruction des masculinités (« on ne naît pas homme, on le devient ») est particulièrement riche et fouillé. Il correspond aussi très bien au virage qu’a négocié le podcast. Depuis qu’il a repris du poil de la bête ces trois dernières années, le format a en effet été investi par des thématiques souvent délaissées par ailleurs. « Des voix que l’on entendait peu ou pas – celles des femmes, des Noirs, etc. – ont trouvé un endroit où s’exprimer, relève Silvain Gire. A cet égard, le podcast prolonge une certaine tradition des radios associatives, qui ont pratiqué un long compagnonnage avec des questions plus politiques. » Le Brussels Podcast Festival ne cache d’ailleurs pas ses propres engagements. Il suffit de jeter un oeil sur la programmation, qui brasse les thématiques les plus aiguës de l’époque – le genre, la mixité sociale, le climat, etc. François Custers: « Je n’ai aucun mal à affirmer que le festival se veut progressiste, féministe, inclusif, sensible aux questions de la diversité. »

Victoire Tuaillon sera présente à Bruxelles.
Victoire Tuaillon sera présente à Bruxelles.© MARIE ROUGE

Le podcast n’est donc plus seulement un simple format Web, une manière de réinventer la création sonore sur Internet. Il est aussi devenu de plus en plus souvent l’outil idéal pour discuter de thématiques coincées dans l’angle mort des médias « traditionnels ». « Je n’aime pas dire que le podcast est démocratique, déclare Elisabeth Debourse, parce que je ne pense pas qu’il soit possible de réaliser des bons sujets sans un minimum de moyens – ce sera même de moins en moins le cas à partir du moment où le secteur grandit et se professionnalise. Mais c’est clair qu’il reste un média très ouvert. » Pourquoi? « Parce qu’au départ, c’est un monde – celui des podcasts natifs (NDLR: qui ne sont donc pas de simples rediffusions d’émissions de radio FM) qui n’est pas du tout structuré, sans grands enjeux de pouvoir ni économiques. Pour le dire autrement, il n’est pas dirigé par des hommes blancs, comme c’est encore majoritairement le cas ailleurs, qui décident de qui doit parler de quoi. »

Le monde du podcast, c’est un peu le Mayflower.

Une plateforme de podcast comme Louie Media a par exemple été fondée par Mélissa Bounoua et Charlotte Pudlowski, deux journalistes engageant clairement des valeurs féministes – les mêmes qui les ont guidées dans leur récente recherche de fonds: 450.000 euros récoltés auprès de « business angels spécialistes des médias et de l’économie des start-up ». Fait rare, l’actionnariat de Louie Media est paritaire. Cela ne veut pas dire que toutes les productions sont consacrées à des thématiques féministes, loin de là. Mais bien que ces valeurs les sous-tendent. De la même manière, quand elle a coréalisé le podcast Salade Tout, dans le cadre d’un appel à projets de la RTBF, Elisabeth Debourse a bien réfléchi. Pour causer food et société, il était évident qu’il fallait inviter autant d’intervenants masculins que féminins. « Et faire attention que tous les témoins ne soient pas des femmes, et tous les experts des hommes… »

Le podcast 2.0 a non seulement donné de la visibilité à certaines histoires mais a plus généralement remis en lumière une certaine manière de les raconter. Avec son écoute intime, il a notamment redonné de la place au temps long. Pour François Custers, c’est d’ailleurs clair: « Le monde du podcast, c’est un peu le Mayflower. C’est le refuge de gens qui sont déçus du système d’information actuel, de l’appauvrissement général et du formatage qui amène tous les médias à produire les mêmes vidéos très courtes pour espérer faire du clic. » A ce propos, il n’est pas exclu que le « phénomène » du podcast, en pleine expansion, finisse lui-même par tomber dans ces travers, reconnaît l’intéressé. Un prochain sujet de discussion pour le Brussels Podcast Festival?

Brussels Podcast Festival: à l’Atelier 210, à Bruxelles. Du 28 février au 1er mars. www.atelier210.be

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