Laurent Raphaël

L’édito: Bush-à-oreille

Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

Outre ses décors grandioses déclinant toutes les nuances de l’ocre, l’attrait principal de la série Mystery Road, dont la deuxième saison vient de s’achever sur Arte (mais elle est toujours disponible sur le site de la chaîne), tient dans sa peinture réaliste et désenchantée d’une communauté aborigène victime de ségrégation et engluée dans la misère sociale. Une carte postale peu reluisante de l’Australie que seule une poignée de films, comme Rabbit-Proof Fence de Phillip Noyce ou Samson et Delilah de Warwick Thornton, avait jusqu’ici abordée.

Le parallèle avec le sort des Amérindiens est frappant: reléguée dans des bleds perdus de l’outback, cette population vit coincée entre un modèle économique occidental qui dicte de fait son mode de vie, mais auquel elle ne participe pas activement -sinon sur son versant criminel (ici le trafic de drogues)-, et des traditions ancestrales dont les trésors sont convoités par… des Blancs. En l’occurrence ici une archéologue venue fouiller, ou plutôt piller, des terres sacrées. Comme si le patrimoine aborigène ne prenait une valeur historique et matérielle que quand les Blancs daignaient s’y intéresser… Soit la version australe et aride d’un racisme endémique qui n’a rien à envier à celui que subissent les Noirs aux États-Unis. Le personnage principal, flic abo mutique et solitaire, en fait d’ailleurs les frais, essuyant le mépris et la défiance aussi bien de ses collègues blancs que des autochtones. En déjouant les stéréotypes, raciaux mais aussi de genre puisque son binôme est une femme dans les deux saisons, ce western terrassé par la chaleur superpose à ses intrigues policières une dimension politique en phase avec les préoccupations actuelles. Ce n’est pas un hasard que ce soient des Aborigènes (notamment l’acteur Aaron Pedersen et la réalisatrice Rachel Perkins) qui prennent le récit de leur destin en main. On le sent, dans les regards las et dans les tensions intracommunautaires.

Une confirmation convaincante de plus que les minorités ethniques, et les minorités tout court, bénéficient ces dernières années d’une visibilité grandissante dans le circuit de production audiovisuelle. Think local, act global. Produits du terroir d’un côté, caisse de résonance mondiale offerte par la VOD et les plateformes de streaming de l’autre. Voilà comment les séries font entrer le monde, avec toute sa diversité, dans les salons. Une impression objectivée par une étude rendue publique en octobre dernier: selon l’Université de Californie de Los Angeles (UCLA), 35% des rôles principaux dans les séries diffusées l’année précédente sont allés à des acteurs de minorités ethniques ou culturelles. On se rapproche donc des 40% qui correspondent à leur part dans la population totale. Un ajustement qui peine toutefois à se concrétiser dès qu’on grimpe dans la hiérarchie de l’industrie hollywoodienne, où les hommes blancs restent largement majoritaires. Mais le mouvement est enclenché.

Qui aurait pariu0026#xE9; une liasse de francs belges il y a 20 ans sur un du0026#xE9;luge en prime time de su0026#xE9;ries faisant la part belle aux trans, aux gays, aux Noirs?

Avec déjà une bonne raison de se réjouir: un souffle créatif nouveau défrise les vieux schémas. Pensons à Insecure, journal de bord d’une femme noire moderne et indépendante, pensons à This Is Us, mégaphone des voix étouffées de l’Amérique, pensons encore à Euphoria, chronique de cette jeunesse fluide redistribuant, non sans douleur, les cartes de la sexualité et du désir. Autant de vérités et de sensibilités restées jusqu’ici dans l’angle mort des scénaristes. Par effet de ruissellement, la pop culture dilue dans la fiction les combats de pointe que mènent les mouvements LGBTQ+ ou Black Lives Matter sur le terrain. Même s’il ne faut pas être naïf, le moteur du changement est aussi économique. Les publics se polarisant autour de leurs identités sexuelles ou culturelles, les producteurs n’ont d’autre choix que de relayer leurs préoccupations pour les fidéliser. Mais qui aurait parié une liasse de francs belges il y a 20 ans sur un déluge en prime time de séries faisant la part belle aux trans, aux gays, aux Noirs? Pas grand-monde probablement. Et sûrement pas Jack Bauer ni Dr House.

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