Eva Bester: portrait d’une grande dame de la radio

Eva Bester, l'oreille attentive et active de L'Embellie. © Francesca Mantovani
Nicolas Bogaerts Journaliste

Eva Bester déteste la mélancolie. Elle lui préfère les transmutations qui vont de l’ombre à la lumière et aime déceler les fantaisies dans les recoins obscurs de la création.

Remèdes à la mélancolie, son cabinet radiophonique de curiosités et de baumes au coeur s’est refermé au début de l’été pour laisser place à la rentrée, sur France Inter toujours, à L’Embellie. Une conversation intimiste et dominicale d’une quarantaine de minutes, qui s’écarte des chemins noirs de l’âme (« Ça fait du bien de ne plus parler de spleen », dit-elle) pour fureter vers les percées de lumière, détailler le catalogue de ce qui invite à prendre sa place dans la course du monde. « La mélancolie invite au retrait, au repli. Un des remèdes les plus forts, c’est l’action, la participation au monde, rendre les choses possibles. C’est ce qu’a capté ce slogan génial d’une marque de sport bien connue. Mais on a tous tellement pris de coups qu’on a intégré l’idée qu’y aller, c’est s’exposer en permanence. Habiter le monde ne nous est pas naturel, on peut passer sa vie à rêver de choses qu’on ne fera jamais. L’action, c’est le meilleur antidote. Et l’action, c’est aller vers les autres. »

Le beau et le puissant

L’on se surprend à découvrir en Ludivine Sagnier, Laetitia Casta, Tristan Garcia ou encore Pierre Lescure, parmi ses premiers invités, des zones sensibles non encore dévoilées, des ressorts d’action et de transformation insoupçonnables. « Sait-on jamais pourquoi on aime les gens? Non. Eh bien! Pour les objets, c’est la même chose », écrivait Alphonse Allais. Eva Bester aime manifestement les objets culturels et ceux qui les composent. Ces objets dont elle a fait des onguents, elle préfère leur attribuer le terme de « chef-d’oeuvre »: « Je l’emploie très souvent parce que pour moi la création est une transformation qui tient de l’alchimie. À la base de tout processus créatif, il y a des esprits torturés qui ont pu modeler les éléments en quelque chose de beau et de puissant. » Elle semble extraire aisément la matière noble de ses invités mais en réalité, c’est une bûcheuse (« Je prépare beaucoup parce que je veux bien recevoir ») qui aime creuser, aller voir par elle-même de quel bois ses invités nourrissent leur feu intérieur. Cette recherche en autodidacte est dans son cas indissociable de son média de prédilection: « Mes humanités, c’est à la radio que je les dois. Adolescente, je l’écoutais la nuit, en cachette, planquée sous les draps. La radio est l’endroit de la conversation la plus intimiste parce que la voix est intime. Elle demande une écoute attentive de la part de l’auditeur s’il veut sentir qu’il est pleinement en compagnie et s’ouvrir à la curiosité. Le but est de transmettre quelque chose, sans piège, avec bienveillance. »

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Deux années à la télé, pour l’émission Clique de Mouloud Achour, à célébrer l’accouplement du beau et du surprenant (la plume noire d’Edward Gorey, un manuel de démonologie du XVIIIe siècle, Le Couronnement de la Vierge d’Enguerrand Quarton…), et puis s’en va. Elle refuse depuis poliment toutes les sollicitations du petit écran: « J’aime les images, beaucoup moins la télé ». En cause également, la sensation du temps qui s’écoule et la peur de ne pas pouvoir faire tout ce dont elle a envie: « Je n’accepte plus rien qui m’éloigne de mes projets. C’est important de pouvoir dire non. L’argent et la sécurité financière ne seront jamais une motivation, le temps est bien trop précieux. » Ce temps, égrené en lecture et écriture (elle a écrit une monographie sur le peintre ostendais Léon Spilliaert), lui impose-t-il une solitude contrainte? « Mon rapport à la solitude est très ambigu. J’adore et je déteste. C’est à la fois terrifiant et la source d’une grande force. Je suis ontologiquement seule, car je n’ai pas de famille autour de moi. La solitude est une tanière que je ne subis pas. Quand elle est trop lourde, je peux tout à fait me dissoudre dans l’entourage, sortir -sans doute un peu trop. Sans doute la solitude serait intolérable sans mes amis, cette famille choisie. C’est magnifique de s’élire mutuellement. On peut rester tant qu’on est bien et partir quand on veut. » Comme avec la radio.

L’Embellie, tous les dimanches à 10h sur France Inter.

Remèdes à la mélancolie: films, chansons, livres… la consolation par les arts, éditions Autrement, 2018.

Léon Spilliaert, éditions Autrement, 2020.

La parole d’Antoine de Caunes

Rédac’ chef invité de Focus

Eva Bester: portrait d'une grande dame de la radio
© Debby Termonia

« La radio a par définition une fonction d’accompagnement. J’en avais déjà fait à d’autres moments et dans d’autres conditions que Popopop. La radio où l’on est en studio, au micro à parler avec des gens dans une espèce d’intimité qu’on arrive assez vite à établir parce qu’il n’y a pas d’image, ça me parle. Et encore, je me bats pour qu’il n’y ait pas d’image à la radio. Popopop est filmé et diffusé en direct sur le site mais je trouve que c’est tellement antinomique de l’idée de la radio. En radio, vous ne devriez pas avoir à vous soucier de ce qui se passe dans votre visage, dans votre attitude. Ce que ce média a de fantastique, c’est cette relation d’intimité qu’elle induit immédiatement. Comme auditeur, je préfère des émissions où il y a une vraie conversation, plus que des émissions où c’est le bordel.

J’ai un peu fait le tour de la disruption. J’ai envie d’intimité. C’est un peu pour ça qu’on a un peu bougé le format de Popopop cette année. On commence par quelques minutes en tête-à-tête. Déjà pour mettre à l’aise l’invité. Oui, j’attends ça de la radio, qu’elle m’accompagne. D’ailleurs la radio m’accompagne. J’écoute la matinale d’Inter -je ne dis pas ça par esprit corporate, c’est juste qu’elle me convient- et ça rythme toutes les séquences matinales: le lever, la douche, le brossage de dent, le petit-déjeuner pour l’héritier. Le véritable accompagnement, c’est quand vous n’êtes pas obligé d’écouter ça figé. En télé, les access prime time se consommaient aussi morceau par morceau. »

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