Serge Coosemans

Culture à la télé: de quoi le traitement médiatique dominant de la chose musicale a-t-il l’odeur?

Serge Coosemans Chroniqueur

Façon puzzle, voilà Serge Coosemans qui dynamite, disperse et ventile aux quatre coins du paysage médiatico-audio-visuel pas seulement local. Mots clés: Quentin Mosimann, Gilles Verlant, fanfarons, Taratata, Pure FM, Joeystarr, RTBF, idéologie, bons petits soldats, staracadémisation des esprits, contamination, demain sera pire… Pop-culture, carambolages et apocalypse, c’est le Crash Test S01E35.

S’est-on, au fond, jamais vraiment demandé ce que Quentin Mosimann, un Suisse qui vit à Paris, a priori confortablement financé par la vente de sa musique, et qui prétend prester des DJ-sets à 12.000 balles les 2 heures dans les « discothèques les plus prestigieuses du monde » fabrique encore à la téloche francophone belge de service public? Moi, ça me semble aussi incongru que David Guetta pigiste dans On n’est pas des pigeons ou Skrillex présentant le tirage du Lotto. Quel intérêt, quand on fait danser le Chinois un soir à Ghengdu (une date internationale parmi d’autres annoncées sur sa page Facebook), d’enchaîner dans la même semaine ou presque la présentation d’un concours de chanson fwalglaise (français, wallon, anglais) qui ne parvient même pas à totalement captiver un demi-pays? Pourquoi Mosimann? Où et comment trouve-t-il le temps d’être là? Combien demande-t-il pour être là, sachant que pour être ailleurs, c’est plutôt onéreux? Est-il raisonnable pour la RTBF de raquer cette somme? Est-ce vraiment un plus pour Reyers ou ne serait-ce que du branding pour la « marque Mosimann »? Pourquoi laisser présenter D6bels on Stage, une émission a priori plutôt pop-rock, par un DJ de house vachement commerciale passé par la Star Ac plutôt que par quelqu’un ayant justement un background plutôt pop-rock? Et puis, surtout, comment en est-on arrivé là? Comment passe-t-on en 35 ans de Gilles Verlant présentant des concerts de Peter Gabriel et Simple Minds enregistrés dans les locaux de la RTBF, parce que les journalistes de la RTBF ont reniflé l’air du temps et senti que ces artistes représentaient alors quelque chose en train d’exploser, à des suppositoires comme D6bels on Stage, où un clown issu de la télé-réalité fait mine de s’intéresser à une sélection musicale qui ne représente généralement rien, sinon les espoirs de retours sur subsides de quelques fonctionnaires employés à la culture?

Ce n’est pas seulement que c’était mieux avant, c’est surtout que ça sera encore pire demain. Qu’est-ce qu’il va en effet bien pouvoir sortir de tout ça, dans 10, 20 ou 30 ans? Si je suis à ce point passionné par la chose musicale et le journalisme qui en découle, c’est aussi parce que j’ai grandi en regardant, en lisant, en écoutant et en encaissant de bonnes émissions, de bons magazines, de bons bouquins. Or, où sont aujourd’hui les équivalents des Enfants du rock sur France 2? Du Old Grey Whistle Test de la BBC? À la RTBF, de Follies avec Gilles Verlant, de Génération 80 avec Fabienne Vande Meersche et de Rox Box avec Ray Cokes? De magazines comme Rock This Town? De ces pages aujourd’hui totalement inimaginables dédiées à la musique dans le Télémoustique et s’étant souvent montrées plus pointues, pertinentes et stylées que Best et Rock & Folk réunis? De Jacques de Pierpont? De Marc Moulin? De Marc Francart? De cette époque où même MTV, Canal+, les Inrockuptibles et certaines radios commerciales se montraient exemplaires? Du moins pour des types comme moi, qui, à 16 ans, avaient fort envie de faire un jour le même métier que De Caunes, Verlant, Manoeuvre, Chalumeau et Garnier. Parce ce que ça avait l’air fendard d’être payé pour faire le con, d’encaisser des euros pour chercher, découvrir et partager la bonne musique et vanner la mauvaise. Aujourd’hui, après plus de 20 ans de service, je ne peux d’ailleurs que confirmer: ça l’est.

La relève?

Seulement voilà, si j’avais aujourd’hui 16 ans, qui donc serait susceptible de m’apparaître comme modèle, dans l’espace médiatique le plus accessible, entendu que lorsque l’on creuse, on finit tout de même par trouver l’or? Des affiliés à la télé-réalité. Des vieux fanfarons aux goûts de water-closets, qui méprisent les musiques marginales même quand la marginalité touche plus de monde que le dernier Jean-Louis Murat. Des ravis de la crèche calés sur Jeff Buckley et Radiohead, cette pop émo d’il y a 20 ans, plus trop curieux depuis. Jamais drôles, surtout. Des gars passés des Dead Kennedys à Puggy et Katerine, par l’enchantement des premiers biberons, comme si devenir parent rendait forcément mou et sourd. Des faux marrants, sur-cools côté face, odieux côté pile. Bien sûr, n’ayant pas d’enfants et ne fréquentant pas d’ados (je ne bois toujours pas de parfum), c’est surtout là ma vision et pas celle d’un djeunz. À vrai dire, j’ignore même tout à fait ce qui se passe entre les deux oreilles de quelqu’un de 30 ans de moins que moi. Ce qui ne m’empêche pas de penser qu’un gamin aujourd’hui désireux de faire son trou dans la musique ou les médias a vraisemblablement beaucoup plus de chances de se faire façonner les envies et les élans par des gens un peu saumâtres et de bons petits soldats de l’industrie plutôt que par d’authentiques rigolos et de véritables encyclopédies sur pattes. D’ailleurs, la plupart de ceux qui m’ont influencé et ne sont toujours pas morts ont généralement, eux aussi, salement viré.

C’est que nous sommes dans un monde post-Fun, post-Taratata, post-Pure FM, post-Star Academy, post-The Voice. Il reste bien entendu de la place pour de fortes personnalités mais il faut qu’elles servent un format décidé par d’autres ou éventuellement même de caution, comme lorsque Philippe Manoeuvre et Joeystarr sont embarqués dans des émissions de télévision musicale dont on avait pourtant l’impression qu’ils en représentaient jusque ici « idéologiquement » la parfaite antithèse. « Idéologie », le mot est lâché. Des valeurs sont prônées, des lignes de conduite sont présentées comme autant de règlements intérieurs à respecter, d’évangiles auxquels adhérer, d’encules éthiques desquelles se faire complice. Or, lorsque la critique véritable disparaît au motif que « dans l’entertainment, tout se vaut » et lorsque, dans les émissions musicales, on applaudit désormais bien davantage la valeur-travail, la persévérance, la technique, l’importance d’un bon coaching ainsi que l’artiste aussi corvéable que malléable plutôt que la niaque, l’individualisme, la défiance, la curiosité et même le coup fumeux, je pense qu’il se transmet un truc bien plus salement pernicieux, efficacement influent et fondamentalement mortifère que ne le seront jamais la violence dans les jeux vidéo et les jurons dans le rap.

Appelons ça la staracadémisation des esprits et reconnaissons que cela fonctionne très bien depuis une dizaine d’années, pas que sur la jeunesse. Ce package viral se transmet efficacement, contamine même des sphères culturelles que l’on pensait pourtant totalement immunisées. Et puis, cela vous préformate surtout les animateurs, journalistes, DJ’s et autres passeurs de purées de l’an 2036. On a eu droit aux types qui utilisaient un vocabulaire ultraprétentieux recopié des Inrocks pour parler de Morrissey, on a eu droit à ceux qui confondent toujours communiqués publicitaires et billets d’opinions, voici maintenant la fournée de noobs qui kiffent autant Michel Cobain que Kurt Sardou et ne rencontrent aucune gêne notable au moment de l’exprimer en grimaces accompagnées de borborygmes de moins de 140 caractères, émoticônes comprises. Puisse donc la révolution mondiale du 2887 mars prochain nous balayer tout ça.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content