« Avez-vous une place dans votre coeur pour accepter l’idée qu’un monstre puisse devenir une meilleure personne? »

Jamie Bell s'investit pleinement dans le rôle du repenti Widner. © Remain In Light
Nicolas Clément
Nicolas Clément Journaliste cinéma

Récit de rédemption frontal resté inédit en salles, Skin de Guy Nattiv raconte le chemin de croix d’un suprémaciste blanc désireux de s’amender et de renoncer à la haine dans laquelle il a été élevé. Autopsie d’une histoire vraie.

À l’origine, il y a Bryon « Pitbull » Widner, ancien skinhead impliqué depuis la jeune adolescence dans des organisations racistes du Midwest, allant jusqu’à cofonder le Vinlanders Social Club, l’un des gangs néonazis les plus hardcore de l’Histoire américaine. Dangereux fanatique réputé pour son extrême appétit de destruction, il passe seize ans à prêcher la fureur et la haine avant qu’une rencontre amoureuse et le désir de fonder un foyer ne l’amènent à prendre du recul et réévaluer ses convictions les plus profondément ancrées -et encrées, puisqu’il est tatoué de la tête au pied de symboles violents, comme autant de trophées et d’appels au crime. Désireux de quitter sa propre organisation pour prendre un nouveau départ, il va toutefois devoir essuyer le harcèlement constant et les menaces de mort de ses anciens compagnons, qui ne lui pardonnent pas ce soudain revirement.

Cette longue et difficile histoire de repentance, le réalisateur d’origine israélienne Guy Nattiv, 46 ans, s’en empare aujourd’hui pour la fondre dans un film de fiction cru et intense, soucieux de coller au plus près du réel, généreusement épaulé en cela par l’ex-Billy Elliot Jamie Bell, singulièrement investi dans le rôle de Widner. Rencontré au dernier Festival du cinéma américain de Deauville, où Skin concourait en compétition, Nattiv raconte: « Pendant tout un temps, ma femme, qui est désormais aussi ma productrice, et moi étions dans une relation à distance entre Los Angeles et Tel-Aviv. J’avais déjà réalisé plusieurs films en Israël quand j’ai décidé de la rejoindre là-bas pour de bon. Je me suis donc mis en quête d’un sujet afin d’y réaliser mon premier long métrage américain. C’est un article de presse qui a d’emblée éveillé mon intérêt. On y voyait une double photo de type « avant/après » sur le visage de Widner, dont je n’avais jusque-là jamais entendu parler. Sur la première image, il était couvert de tatouages. Sur la seconde, il en était complètement débarrassé. Au-dessous, l’article racontait son histoire, qui m’a complètement retourné.  »

Effacer la haine

Nattiv commence alors à creuser de manière obsessionnelle le cas Bryon Widner, qui a déjà fait l’objet d’un documentaire télévisé, Erasing Hate, détaillant notamment la douzaine d’interventions suprêmement douloureuses qu’il a subies sur une période de plus d’un an et demi afin de faire disparaître toute trace de tatouage de son visage. Une procédure qui inspirera à Guy Nattiv le fil rouge de son long métrage en gestation, qu’elle rythme à la manière d’une métaphore limpide de l’innocence retrouvée. Ou plutôt reconquise. « Quand j’ai contacté Bryon, il a tout de suite voulu me rencontrer pour être certain que j’étais fiable et sérieux. Il avait déjà été approché plusieurs fois par des producteurs. Il a regardé mes anciens films, je lui ai expliqué mon approche, on a passé du temps ensemble. Puis il a fini par me donner son feu vert en précisant qu’il était très touché qu’un Juif veuille raconter son histoire. »

Dans l’esprit de Nattiv, l’implication de Widner est claire: il sera consultant sur le film. Le réalisateur part alors faire des recherches sur le terrain et multiplie les rencontres en Ohio, dans l’Indiana et le Michigan, au coeur de la Rust Belt de l’Amérique (littéralement, la « ceinture de la rouille », soit cette région industrielle en déclin du nord-est des États-Unis, particulièrement propice au repli identitaire). C’était avant l’élection de Trump, avant la tragédie de Charlottesville: le scénario qui arrive chez les financiers ne résonne pas avec l’actualité, et l’argent ne suit pas. Au pied du mur, Nattiv décide alors de mettre toutes ses économies dans un court métrage, déjà appelé Skin, qui ne raconte pas directement l’histoire de Widner, mais en pose les enjeux et le contexte (in)humain. Le film remporte un Oscar et son sujet est rattrapé par une certaine urgence de l’époque qui rend la concrétisation du projet initial possible.

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À l’arrivée, Skin, le long, qui, bizarrement, déboule directement chez nous en DVD/Blu-ray sans passer par la case grand écran, rappelle au fond moins le American History X de Tony Kaye que la série Sons of Anarchy, voire le cinéma sans concession d’un Jean-Stéphane Sauvaire (Punk, A Prayer Before Dawn). Dédiée à la mémoire du grand-père de Guy Nattiv, survivant de l’Holocauste, c’est d’abord l’histoire d’une addiction noire, dévastatrice, puis, surtout, celle d’une renaissance à soi-même, où le corps et l’esprit sont des prisons dont il faut pouvoir trouver la clé. « Je pense que le film pose une question complexe à ses spectateurs. En l’occurrence: avez-vous une place dans votre coeur pour accepter l’idée qu’un monstre puisse devenir une meilleure personne? Êtes-vous capable de donner une seconde chance à quelqu’un comme ça? Skin invite à aller voir ce qu’il y a au-delà de la colère. Je ne dis pas que c’est facile. Je dis que c’est nécessaire. »

Skin. De Guy Nattiv. Avec Jamie Bell, Danielle Macdonald, Bill Camp. 2h. Dist: Remain In Light. ***(*)

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