À la télé cette semaine: Years and Years, Serpico, The Deuce, Le Monde selon Radiohead…

Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

Notre sélection de séries, films et documentaires pour la semaine du 7 au 13 septembre.

YEARS AND YEARS

Minisérie créée par Russell T Davies. Avec Emma Thompson, Russell Tovey, Rory Kinnear. ****

Samedi 7/9, 20h30, Be Séries.

Orchestrée en six épisodes, la nouvelle fiction signée Russell T Davies (Doctor Who, Queer as Folk, A Very English Scandal) est un très grand moment de télévision: six épisodes durant lesquels une famille originaire de Manchester, tout ce qu’il y a de plus ordinaire, inclusive et upper middle class, va servir de bâton de pèlerin pour aller explorer ce que réservent pour l’Angleterre -et le reste du monde- les quinze prochaines années. La vie des Lyons, la fratrie composée de Stephen, Daniel, Rosie et Edith, leurs compagnes et compagnons, leur grand-mère Muriel et leurs enfants, va être copieusement affectée par les tournants dramatiques (politiques, environnementaux, économiques…) auxquels l’humanité sera confrontée. Comme toutes les bonnes contre-utopies et anticipations, Years and Years (lire notre entretien) se nourrit des peurs et des crises du présent. Au programme: un second mandat pour Trump, l’invasion de l’Ukraine par une armée « soviétique », Hong Kong repris par la Chine, un Royaume-Uni qui a largué les amarres, quitté l’Europe, et qui tombe dans les bras d’une inquiétante démagogue, Vivienne Rook. Cette dernière, jouée par l’immense Emma Thompson, est d’ailleurs bien plus que cela: elle est « monstrueuse« , un repoussoir idéal, flippante, de cette normalité bonhomme, calculée et dédiabolisée, dans un étrange mix de Marine et Marion Le Pen, Nigel Farage et Theo Francken. Un cauchemar pour toute personne pariant sur l’intelligence, la compassion et la hauteur de vue de l’humanité.

Le noyau familial des Lyons va expérimenter les implosions provoquées par les décisions politiques et les dérives d’un monde qui annulent toutes leurs certitudes, brisent leur confort et réalisent leurs plus sombres craintes. Avec plus d’évidence et de trivialité encore que n’importe quelle saison de Black Mirror, Russell T Davies filme l’omniprésence des gadgets technologiques, assistants numériques, smartphones, réseaux sociaux, géolocalisations, filtres visuels, algorithmes, et leur emprise sur le quotidien, les relations, les décisions, les apprentissages… La manière dont ils formatent toutes capacités à s’exprimer, se situer dans le monde. Alors que les siens sont pris dans les dilemmes de la haine de l’autre ou de la compassion, de la peur ou de la résilience, provoqués par le régime qui advient, Daniel se souvient avec nostalgie de l’époque où la pire chose que pouvait leur infliger la politique était l’ennui. Savamment écrite, fluidifiée par une réalisation qui met en exergue les connections (réelles ou virtuelles) entre des personnages brillamment interprétés, Years and Years saisit avec sagacité les tourments et les glissements de terrain d’un monde qui se prend inexorablement les pieds dans le tapis… Et ne peut plus se permettre d’y glisser la moindre poussière. N.B.

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NEW AMSTERDAM

Série créée par David Schulner. Avec Ryan Eggold, Freema Agyeman, Janet Montgomery. **(*)

Dimanche 8/9, 20h20, La Deux.

Alors que quelques séries médicales, la française Hippocrate en tête, ont réussi ces dernières années à sortir le monde hospitalier de son liquide amniotique de béni-oui-oui et de sensations fortes pour accoucher de récits à fibre sociale dure et réaliste, New Amsterdam semble emprunter un chemin inverse. Inspirée des mémoires d’Eric Manheimer, médecin dans un grand hôpital de New York, la série se déleste très vite des aspects critiques de la matière originale pour leur préférer un bon vieux retour aux sources: prouesses de médecin capable de diagnostiquer en un clin d’oeil des cas hyper complexes, histoires de fesses et de coeur. Les quelques rares occasions de pointer les crises de l’hôpital public, sacrifié sur l’autel de la rentabilité, trahissent la volonté de donner une dimension sociale et humaniste. Mais elles se noient dans des montées répétitives de tension, ficelles classiques des fictions hospitalières. Ça passe crème pour un dimanche soir, plutôt favorable au repos des neurones. N.B.

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THE DEUCE (SAISON 3)

Série créée par David Simon et George Pelecanos. Avec Maggie Gyllenhaal, James Franco, Gbenga Akinnagbe.

Lundi 9/9, 21h00, Be 1.

Encore indisponible au moment de boucler ce numéro, la dernière saison de la série signée David Simon (The Wire) et George Pelecanos a toutefois laissé filtrer quelques images. Elles permettent de situer le nouveau saut temporel opéré dans cette reconstitution du quartier de Time Square, à New York, royaume de la prostitution et de la pègre secoué par le démarrage en trombe de l’industrie du X. Première moitié des années 80, Pull Up to the Bumper de Grace Jones rythme les échos de cette vie nocturne qui a vu les frères jumeaux Frankie et Vincent Martino (James Franco), Eileen « Candy » Merrell (Maggie Gyllenhaal) et la faune du quartier survivre aux multiples secousses d’un underworld amené à sortir de terre. Ils font face aux nouvelles menaces qui noyautent un monde toujours conduit par l’exploitation des corps (celui des femmes, principalement), la corruption policière et politique: les premiers spectres du sida, l’avènement de la « Corporate America » et de la spéculation immobilière, bien décidées à mettre la main sur la Grosse Pomme. N.B.

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LA POISON

Tragicomédie de Sacha Guitry. Avec Michel Simon, Germaine Reuver, Jean Debucourt. 1951. ****(*)

Lundi 9/9, 00h05, France 5.

Pure merveille que ce film écrit et réalisé par le grand Sacha Guitry pour le non moins grand Michel Simon. Lequel se voit offrir un rôle en or avec le personnage de Paul Braconnier. Cet homme et sa femme acariâtre ne se supportent plus et vivent dans un climat de haine mouillé de mauvais vin bu en grandes quantités. Un jour, Braconnier entend à la radio une interview avec un avocat célèbre, spécialiste de l’acquittement de criminels. Il lui vient alors une idée de génie. Quittant sa campagne pour Paris, il y rend visite au ténor du barreau (joué par Guitry), feignant d’avoir assassiné sa femme et prenant bonne note des questions et remarques de l’avocat… Lesquelles lui serviront ensuite de guides au moment de retourner chez lui et de vraiment trucider sa moitié! La Poison porte l’humour noir à ses sommets, et offre une satire sociale acérée. Michel Simon (Boudu sauvé des eaux, Le Quai des brumes, Le Vieil Homme et l’Enfant) y est prodigieux! L.D.

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ITALIE: LE BUSINESS DES ENLÈVEMENTS CRAPULEUX

Documentaire d’Antonella Berta. ***

Lundi 9/9, 23h55, Arte.

Enfants de touristes kidnappés dans une piscine sous les yeux de leurs parents, ado séquestré pendant deux ans et demi dans un puits naturel, gamin de cinq ans enchaîné et affamé pendant 17 mois dans l’obscurité ou encore gosse mutilé pour faire grimper la rançon… En Italie, 700 personnes ont été kidnappées entre 1970 et 2000. Mais que sont devenues les victimes? Qu’ont-elles vécu? Et qui étaient leurs ravisseurs? Certains d’entre eux s’expliquent. Des gens qui ont été braqués et séquestrés se souviennent. Le business des enlèvements crapuleux s’envole pour la Sardaigne, raconte des régions pauvres sans usine ni travail, d’ancien bergers devenus bandits, les rapts de personnes qui trouvent leurs origines dans le vol de bétail. Mais aussi le blanchiment d’argent, la loi du silence. Les gens qui remboursent parfois encore les crédits qui ont permis de payer leur rançon et tous ceux qui n’ont pas survécu. J.B.

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SERPICO

Film policier de Sidney Lumet. Avec Al Pacino, John Randolph, Tony Roberts. 1973. ****(*)

Mardi 10/9, 21h10, La Trois.

L’histoire de Franck Serpico est une histoire vraie. L’écrivain et journaliste Peter Maas avait raconté dans un livre de 1973 comment ce policier intègre avait dû faire face aux pires menaces pour avoir dénoncé la corruption régnant dans sa brigade à New York. La même année, l’excellent Sidney Lumet, spécialiste du film de genre à résonances sociales, transposait le bouquin à l’écran dans un film d’une formidable intensité. Le rôle de Serpico, flic d’origine italienne, est tenu par le charismatique et hyper-talentueux Al Pacino. Lequel est jeune trentenaire et vient d’acquérir une renommée fantastique avec Le Parrain. L’acteur signe une performance engagée, douloureuse, dans un polar citoyen d’une force considérable. Le film et l’acteur remporteront un Golden Globe et surtout un succès public tel que Lumet recevra dans la foulée le (rare) privilège d’avoir désormais le « final cut » (le droit au montage final) de ses films. L.D.

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PROPAGANDE: L’ART DE VENDRE DES MENSONGES

Documentaire de Larry Weinstein. ***(*)

Mardi 10/9, 20h50, Arte.

« Quand on répète un gros mensonge suffisamment souvent, les gens finissent par y croire », disait Joseph Goebbels. Lavage de cerveau politique, attaque délibérée contre la complexité de la pensée, main invisible qui nous conduit à obtempérer sans qu’on en ait conscience, la propagande dirige la vie de l’homme depuis la nuit des temps. Spécialistes des médias, archéologue, historiens, artistes (dont le responsable de la célèbre affiche Viva Che), militants, caricaturiste… Le documentaire de Larry Weinstein analyse la manipulation à travers les âges. Ça parle de communication symbolique, du besoin de croire en quelque chose, de storytelling, de mobilisation, de culte de la personnalité, de l’image fausse qu’on nous vend de la vie parfaite et du pouvoir de l’art. Mais aussi d’Église catholique, d’Union soviétique, de nazisme et de financement des groupes antimusulmans. L’art de vendre des mensonges s’inscrit dans une programmation thématique autour de la propagande, se glisse entre Les Marches du pouvoir de George Clooney, des docus sur la participation d’Hollywood à l’effort de guerre, l’utilisation du cinéma par le régime nazi (dimanche 08/09), le combat par l’image entre l’Iran et l’Irak et la fabrique du consentement (mardi 10/09). L’histoire d’une planète bombardée d’images et d’informations. D’une population manipulée par des récits inventés de toutes pièces. J.B.

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LE MONDE SELON RADIOHEAD

Documentaire de Benjamin Clavel. ***(*)

Vendredi 13/9, 21h10, La Trois.

Vingt-neuf millions d’albums vendus en 30 ans, une vraie conscience politique, économique et sociale et une indéniable capacité à se réinventer. Enfant de MTV, Radiohead n’a jamais été un groupe tout à fait comme les autres. Et le documentaire que propose Benjamin Clavel à son sujet sort lui aussi quelque peu des sentiers battus. Ne serait-ce déjà que par ses invités. Pas de stars venues ici crier au génie et louer les talents thomyorkiens, mais un musicologue, un biographe, un philosophe, un romancier, un auteur qui décryptent son militantisme, son engagement et son anticapitalisme… Ils épinglent son rapport à Noam Chomsky et à Naomi Klein et analysent son regard critique sur la technologie et son attitude ambivalente. Ils reviennent sur la sortie d’In Rainbows, téléchargeable gratuitement sur le site Internet des Anglais avec la possibilité de faire un don (le prix était fixé par l’acheteur) et lèvent le voile sur W.A.S.T.E. (référence à l’écrivain Thomas Pynchon), la société qui s’occupe de vendre leurs produits dérivés. À travers l’art et les disques de Radiohead (Kid A a marqué le passage au siècle nouveau), Clavel retrace finalement l’histoire d’un groupe qui invite l’auditeur à résister politiquement et à devenir le sujet actif de sa propre existence. J.B.

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THE PASSAGE

Série créée par Liz Heldens. Avec Mark-Paul Gosselaar, Saniyya Sidney, Brianne Howey. ***

Vendredi 13/9, 22h05, Plug RTL.

On ne va pas se mentir: une série centrée sur une épidémie apocalyptique, dont le seul remède exigerait des mesures sacrificielles pires que la menace en présence, sur fond de complot ourdi par une officine d’État, sur le papier, on n’était pas preneur. Et pourtant. Dès le premier épisode, The Passage sort du concept qui l’a forgé pour entrer dans une matière qui explore la complexité de ses personnages, attachants et particulièrement bien investis par un casting de -jusque-là- seconds couteaux. Une sombre agence publique est chargée de créer un vaccin contre toutes les maladies infectieuses. Celui-ci réside dans l’organisme d’un vampire bolivien (ne partez pas tout de suite), mais nécessite un hôte « normal » pour être cultivé. Un ancien militaire, Brad, est chargé d’enlever Amy, choisie pour servir de cobaye. Mais il se ravise en last minute, signant le départ d’un road trip qui, contre toute attente, tient en haleine et déploie quelques belles idées de scénario, même si l’ensemble ne résiste pas à son avalanche d’action un peu réchauffée. N.B.

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KATE BUSH, LA SORCIÈRE DU SON

Documentaire de Claire Laborey. ***(*)

Vendredi 13/9, 22h30, Arte.

Repérée par David Gilmour, elle est un peu la fille des Pink Floyd. Puis aussi la mère de Björk, de Tori Amos et d’Alison Goldfrapp. Première femme autrice compositrice à se hisser en tête des hit-parades européens, Kate Bush révolutionnait à 20 ans les codes de la pop. Si elle avait écrit une centaine de chansons à treize piges, la chanteuse à la voix suraiguë n’a sorti qu’une dizaine d’albums en quatre décennies. Quatre décennies placées sous le signe de la recherche sonore et de l’expérimentation. La Française Claire Laborey tire le portrait de cette curieuse icône qui se qualifie de « plus timide des mégalos« . Elle raconte la gamine qui a grandi dans une ferme au sud de Londres, la jeune femme qui s’est imposé une discipline de fer et l’artiste qui a enfanté une poésie de l’étrange teintée de fantastique et créé des univers et des spectacles exceptionnels et prescripteurs. Un chouette petit docu truffé d’anecdotes où l’organisatrice des Wuthering Heights Day à Berlin côtoie le biographe de Kate, David Gilmour et des interviews d’époque. J.B.

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