Critique

[à la télé ce soir] Vieillir enfermés

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Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

Bouleversant, Vieillir enfermés est un formidable documentaire, nécessaire et criant de vérité. Mais si la situation actuelle vous déprime et si vous avez déjà le coeur lourd, évitez peut-être pour l’instant de le regarder.

Mars 2020. Le Covid vient de frapper. On est dans un établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (un Ehpad) à Paris, dans le 16e. Sur les 120 résidents, 35 ont été atteints par le virus et huit sont déjà décédés. La directrice fait le tour des chambres, annonce les résultats des tests et les mesures à prendre. Des membres du personnel protégés de la tête aux pieds effectuent les soins traditionnels tandis que d’autres emportent les cercueils.

Des équipes désabusées et au bout du rouleau. Des pensionnaires isolés au-delà du supportable. Madame Benichou a le Covid mais elle est dans une forme olympique, elle ne comprend pas sa dangerosité et veut sans cesse quitter sa chambre. Monsieur Jan craque à cause de la solitude et de l’Alzheimer de sa femme… « J’ai personne pour ma toilette?« , questionne une vieille d’âme dans un dialogue surréaliste. « Non, c’est dimanche. » Et de rétorquer: « Ça va? Je ne sens pas encore mauvais? »

Vieillir enfermés est un documentaire saisissant. Éric Guéret a commencé à filmer quand il a compris que les Ehpads allaient rencontrer d’énormes difficultés. Comment continuer à prendre soin des gens dans de bonnes conditions? C’est l’une des grandes questions. Mais son film ne dépeint pas que la désastreuse crise sanitaire, ce miroir grossissant. Il met le doigt de manière générale sur la solitude extrême des résidents et des conditions de vie qui ne sont pas passagères. « Quand j’étais à l’école, on nous disait qu’en gériatrie, une infirmière avait en charge 20 patients, explique l’une d’entre elles. Dans la réalité, c’est tout autre chose. C’est une infirmière pour 60, 80 ou 100 patients. Ici, c’est une pour 60 mais 120 quand on est toute seule. Ce qui arrive… »

Manque d’ergothérapeutes, de psychomotriciens… Les aînés qui ne sont pour la plupart plus suffisamment autonomes pour sortir de l’établissement voient leur état se dégrader et deviennent grabataires. Il y en a qui partent à l’hosto et qui en reviennent avec le Covid. D’autres qui dépriment et qui veulent que leur vie se termine. « On ne peut pas être heureux dans un Ehpad. On peut avoir de petits plaisirs mais être heureux… » « Qu’est-ce que je fais là? Je me le demande!« , s’interroge encore une dame de 103 ans. Bouleversant, Vieillir enfermés est un formidable documentaire, nécessaire et criant de vérité. Mais si la situation actuelle vous déprime et si vous avez déjà le coeur lourd, évitez peut-être pour l’instant de le regarder.

Documentaire d’Éric Guéret. ****

Mercredi 3/02, 22h40, Arte.

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