Critique

[à la télé ce soir] Lolita, méprise sur un fantasme

© YANN L'HÉNORET
Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

Le roman le plus connu de Vladimir Nabokov a fait de son héroïne un nom commun et popularisé le mot nymphette. Sauf que le personnage de Lolita, ce n’est pas du tout ce que la plupart des gens en pensent.

« Quand les gens entendent le mot Lolita utilisé indépendamment du roman, ils pensent à une jeune fille sexuellement précoce qui séduit les hommes plus âgés« , dit l’un. « Lolita, c’est le fantasme transgressif. C’est le désir du fruit défendu mais du fruit qui veut être croqué« , dit l’autre. Le roman le plus connu de Vladimir Nabokov a fait de son héroïne un nom commun et popularisé le mot nymphette. Sauf que le personnage de Lolita, ce n’est pas du tout ce que la plupart des gens en pensent. C’est une gamine de douze ans tout à fait banale livrée aux mains d’un pédophile. Comment l’enfant abusée est-elle devenue une icône érotique dans l’imaginaire collectif? Comment est arrivé ce contresens, ce terrifiant malentendu entre le personnage imaginé par l’écrivain américain d’origine russe (« ce grand bonhomme chauve pas intéressant du tout« , disait-il de lui) et la figure de Lolita? Le documentaire d’Olivia Mokiejewski (fille de Jean-Pierre Mocky) l’explique en long, en large et en travers et retrace de quelle manière une série de malentendus en a fait l’un des ouvrages les plus incompris de la littérature.

Nabokov a presque 60 ans quand son bouquin le plus connu est publié. Ce roman écrit à la première personne est la confession d’un professeur de 42 ans qui, dans sa cellule, attend d’être jugé pour le meurtre de son rival. Il raconte son désir obsessionnel pour une fille de douze ans dont il a épousé la mère. Il est devenu son tuteur et en a fait sa maîtresse. Le romancier s’attaque au tabou de la pédophilie et, avec tout son génie, pousse à aimer de façon littéraire ce que moralement on devrait haïr. Lolita est avant tout l’histoire d’un prédateur. Celui du regard masculin déviant et pathologique. La Lolita séductrice, c’est l’image que veut donner le narrateur pédophile en masquant les souffrances de sa victime. Une histoire terrible, atroce, une grande tragédie… Les mauvaises lectures mettent le doigt sur la complexité de son oeuvre. Après la Seconde Guerre mondiale, trois thèmes sont tabous en Amérique: les mariages interraciaux, les personnes athées qui vivent heureuses et la pédophilie. Les auteurs s’exposent à certaines sanctions, voire à de la prison. Au point que Nabokov veut un temps publier le livre anonymement. Refusé par tous les grands éditeurs, considéré comme amoral et pervers par tous ceux qui ne l’ont pas compris, le roman sort en France en 1955 chez Olympia Press et se retrouve dans un catalogue de livres érotiques. Puis, il y a le poster du film de Kubrick et la culture japonaise qui finissent d’imposer le malentendu. Une analyse passionnante et nécessaire…

Documentaire d’Olivia Mokiejewski. ****

Mercredi 13/10, 22h35, Arte.

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