Critique

[à la télé ce soir] Adult Material: vices et sévices

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Nicolas Bogaerts Journaliste

Lucy Kirkwood (Skins) dirige son récit autour d’une dialectique noueuse et amorale: le porno est-il un monde de domination, de sévices maquillés, de bourreaux et de victimes, ou le dernier rempart d’une sexualité dénuée de honte, libératrice et exploratoire? Où est la part d’éveil et de déni?

Jolene Dollar tourne irrémédiablement ses talons de 10 centimètres vers le crépuscule d’une florissante carrière de porn star. Même les fiévreux abonnés de sa messagerie en ligne pour qui elle enregistre une story masturbatoire particulièrement sonore, entre deux bouchées de sandwich au zeste de gloss, dans un improbable car wash et une scène d’ouverture qui brise ce qu’il peut éventuellement rester d’illusion ou de fantasme, ne peuvent la distraire de l’irrémédiable. Jadis sûre du pouvoir qu’elle exerçait sur le milieu, à une époque où tout ne se jouait pas encore sur Internet, elle vacille: il s’agit désormais de s’exposer, avec tous les risques que cela suppose. L’assurance avec laquelle elle naviguait autour des angles morts du consentement, de l’illusion du contrôle, de la sécurité et de l’intégrité corporelle va être abondamment testée au cours de ces quatre épisodes tapageurs, aux scènes explicites, qui mettent un doigt grassouillet et taquin sur les problématiques liées à l’industrie pornographique.

Par ailleurs mère de trois enfants, Jolene -Hayley Burrows, de son vrai nom- vit dans la banlieue anglaise industrieuse, joue aussi les accompagnatrices de jeunes recrues sur les tournages, prodiguant ses conseils, déterminant avec la production le cadre et les limites des performances. C’est là qu’elle rencontre la jeune Amy, du même âge que sa propre fille, Phoebe, alors qu’elle s’apprête à faire sa joyeuse entrée avec l’acteur hardcore américain Tom Pain. Et la panoplie de sévices non consentis que subit Amy projettent Jolene dans une arène qu’elle n’avait pas prévu de fouler, face à des adversaires qui étaient jadis ses employeurs et d’autres qu’elles n’avaient simplement pas vus venir.

Ancienne scénariste de la série Skins, Lucy Kirkwood parvient à diriger son récit autour d’une dialectique noueuse et amorale: le porno est-il un monde de domination, de sévices maquillés, de bourreaux et de victimes, ou le dernier rempart d’une sexualité dénuée de honte, libératrice et exploratoire? Où est la part d’éveil et de déni? Sans avoir la grâce de I May Destroy You, Adult Material partage le même humour sombre, grinçant, la même rythmique ambivalente (alternance de glam et de glauque, multiplication des retournements) et la même volonté de porter un regard de femmes (female gaze) sur les relations de pouvoir, les zones de gris du consentement, sur un tournage ou dans la vie réelle. Sur le monde de fantasmes lubrifiés du porn qui fourmille de bullshit jobs, exercés par des actrices partageant les mêmes traumas précoces de violence et d’abus. Kirkwood et son casting foutraque mais singulièrement aiguisé parviennent à nous faire rire, beaucoup, mais nous perd un peu dans les twists judiciaires de l’intrigue et leurs effets de comédie sociale british.

Minisérie créée par Lucy Kirkwood. Avec Hayley Squires, Phil Daniels, Rupert Everett. ***(*)

Mercredi 20/01, 21h15, Be 1.

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