Serge Coosemans

Exclusif: La mesure choc qui va tout changer dans l’horeca branché bruxellois

Serge Coosemans Chroniqueur

Pour la dernière fois de cette troisième saison et juste avant un gros mois de vacances pas vraiment méritées, Serge Coosemans sort de route pour nous annoncer une nouvelle mesure juridique qui ne va pas faire que des heureux dans le petit monde de l’horeca bruxellois! Sortie de route, S03E39.

C’est un véritable tsunami juridique qui va, dès que totalement appliqué dans les semaines qui viennent, assurément transformer en profondeur certaines vieilles pratiques d’établissements bien connus et représentatifs de l’horeca bruxellois. Dans le collimateur de l’ONSS et de la Justice depuis de nombreux mois pour « travail dissimulé », une liste conséquente de « bistrots branchés » du Centre-Ville, de Saint-Gilles et d’Ixelles qui pratiquent le « service au bar » vont en effet devoir se mettre au plus vite en conformité avec de toutes nouvelles règles régionales, sous peine de lourdes sanctions. À chaque entrée dans l’établissement à des fins de consommation, le client se verra ainsi remettre un CDD « d’assistant serveur ». Regarder le menu debout, aller commander au bar, attendre la commande, la porter à table, se lever pour payer, rapporter sa vaisselle et jeter les déchets, voilà autant d’actions qui seront désormais comptées comme du service et donc rémunérées.

« Ça sera un petit peu compliqué au début, nous a expliqué un représentant du Ministère des classes moyennes qui préfère rester anonyme, mais comme nous avons déjà beaucoup de fonctionnaires qui passent énormément de temps dans ces établissements durant leurs heures de travail, ceux-ci pourront toujours aider l’usager dans ces nouvelles démarches administratives et bien lui expliquer comment compter et prester ses heures. Le chômeur, par exemple, ne devra jamais oublier de noircir une case de sa carte de pointage à chaque fois qu’il va dans ce genre d’endroits et, surtout, d’exiger un C4 à la sortie. Sans quoi, il risque de perdre tous ses droits. Dans le même ordre d’idée, c’est au travailleur indépendant de décider comment déclarer sa prestation d’assistant serveur: il peut facturer le temps qu’il a pris à commander sa salade et son café comme relevant de la consultance mais il perdrait alors la possibilité d’utiliser la souche TVA à son compte ou de faire passer cette salade et ce café consommés à titre personnel pour des frais de représentation. Le public n’a pas à s’inquiéter. Le mot clé de l’année 2014 en Belgique est « confiance » et nous sommes nous aussi dans une démarche très positive. Nous éditerons d’ailleurs à la rentrée une brochure explicative pensée par et pour les habitués de ce genre d’établissements, puisqu’outre nos fonctionnaires, on y trouve aussi beaucoup de graphistes désoeuvrés qui ont été très heureux d’être mis à contribution. »

Du côté de la clientèle des établissements où la mesure est déjà d’application, c’est l’étonnement… Jérémy, 24 ans, assistant de production, l’accueille avec joie, nous affirmant que « ça fait trois ans que je suis malgré moi serveur à Flagey et c’est de la véritable exploitation. Tous les vendredis, je me tape minimum 6 fois 22 minutes de file pour avoir une bière premier prix à 3 euros, que je dois en plus amener à table et c’est un véritable travail d’acrobate quand il y a des tournées et plein de monde. Il était temps que cela soit reconnu comme un vrai travail. » Chercheur universitaire, David, 37 ans, accueille lui aussi très positivement la mesure. « On ne parle pas assez de la pénibilité des brunchs du dimanche. C’est bruyant, bondé, mal aéré et il faut souvent partager sa table avec des assistants-parlementaires Ecolo. Rémunérer celui qui porte les plateaux de pancakes à sa petite famille, c’est une mesure très décente, même si ce n’est qu’un début. Je pense en effet qu’en soirée et le dimanche, on devrait être rémunérés à 150%, comme cela se fait ailleurs. » Mireille, 52 ans, reste quant à elle plus circonspecte: « C’est strictement cosmétique, ce truc. On est certes payés, pas bien d’ailleurs, mais où sont l’assurance-maladie et le pécule de vacances? Puis-je sinon être renvoyée pour faute grave si j’apostrophe vertement quelqu’un qui me dépasse dans la file, hein? On sait aussi très bien qu’il y a un uniforme informel pour les employés de ce genre d’établissements. Or moi, je n’ai aucune envie de me tatouer et de me percer les lèvres, encore moins de parler aux gens avec un accent et un dédain typiquement français! »

Gérant dans une grande enseigne horeca de Flagey depuis 2008, Nicolas reste lui aussi plutôt méfiant: « Nous avons accepté sans broncher l’interdiction de fumer à l’intérieur, la limitation du volume de la musique et les heures de fermeture drastiques imposées par les autorités. Là, je trouve quand même qu’on dépasse les bornes. Ce n’est pas un secret que nos clients sont des gros cons et je n’ai que peu envie d’engager des gros cons, même pour 20 minutes. Franchement, je pense que nous allons carrément abandonner le service au bar et recommencer à engager du personnel qui sert à table, sans quoi on va bien aussi finir par attirer toute la misère du monde, du genre l’un ou l’autre illégal qui espère gagner un peu d’argent en faisant la file à la place des petites vieilles, des feignasses et des chômeurs qui ne veulent pas noircir leur case. Le vrai problème, c’est qu’à Bruxelles, il n’y a plus que des vieilles serveuses de 40 ans qui veulent bien porter des plateaux et sont capables de le faire sans renverser, tout ça en travaillant debout 8 heures d’affilée sans recourir à la cocaïne ou au MDMA. Je suis désolé mais ce genre de ringardes connaissant leur métier, c’est très mauvais pour l’image de notre établissement! »

Les cafés branchés abandonnant le « service au bar » ne seront évidemment plus concernés pas la mesure, nous a-t-on assuré au Ministère des classes moyennes. Par contre, pour éviter une concurrence déloyale envers leurs pairs, ils devront alors se mettre en conformité avec les autres établissements de leur catégorie, c’est-à-dire louer ou installer des jeux de fléchettes et un bingo et servir à la pompe de la « vraie bière », produite par les brasseurs historiques du pays. « Ça paraît autoritaire et même kamikaze, mais cela ne relève que du bon sens », nous a affirmé notre contact au Ministère, avant de fermer boutique, parce que bon, il était tout de même 15h47, un vendredi à quelques jours du 1er août.

Chronique (fictive bien sûr!) écrite en collaboration exceptionnelle avec le Professeur Jong du blog Le Gastroscope.

Sortie de route, pour sa quatrième saison, reviendra le 8 septembre 2014.

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