Des Hommes et des Dieux: tous, vous mourrez

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Autour de la disparition des moines français de Tibhirine, Xavier Beauvois réussit un film touché par la grâce. Pénétré de leur vérité, Lambert Wilson est ressorti de cette expérience singulière investi d’une mission.

Pour le public cannois, la projection de Des hommes et des Dieux de Xavier Beauvois aura constitué l’un de ces moments rares où l’effervescence festivalière s’estompe au profit d’un recueillement intense. S’emparant d’un sujet difficile (la disparition, en 1996, des moines du monastère cistercien de Tibhirine, en Algérie, vivant en harmonie avec leurs frères musulmans avant d’être enlevés et assassinés dans des circonstances jamais totalement élucidées), le réalisateur de Selon Matthieu saura trouver les arguments cinématographiques appropriés pour donner à son film un caractère essentiel: respectueux des faits, certes, et collant d’ailleurs au plus près au quotidien de ces hommes. Mais plus encore en prise contemplative sur l’élan spirituel qui devait les amener à accueillir la perspective de la mort avec une forme de souveraine sérénité.

Face à la caméra, un groupe d’acteurs touchés par la grâce, au rang desquels Michael Lonsdale et Lambert Wilson. Dans le rôle de Christian de Chergé, le frère prieur du monastère. Ce dernier livre une prestation où la tension sourde (exposés à la menace terroriste, les religieux sont confrontés à un dilemme venu éprouver leur foi, rester ou partir) cède le pas à la félicité que procure la paix intérieure. On le retrouvait au lendemain de la présentation du film, non moins investi de ses enjeux.

« Ce film n’est pas là maintenant par hasard: il arrive à un moment où, plus que jamais au cours de l’Histoire, des gens en sont à blesser et tuer au nom de Dieu. » La vérité de frère Christian, Wilson s’en est notamment pénétré à la faveur d’une retraite à l’abbaye de Tamié en Haute Savoie. Une expérience qu’il qualifie d’ « extraordinaire ». Des gestes des moines, les acteurs se sont d’ailleurs imprégnés au-delà d’un simple mimétisme, bientôt aidés par Xavier Beauvois: « Il nous a préservés de nos trucs, observe encore Wilson. Nous avons été complètement nettoyés. Dans le film, nous ne sommes que des hommes, totalement habités par nos personnages. Il n’y a pas même de désir de séduire le public: nous sommes ce qu’ils étaient. »

Réunis dans l’anonymat procuré par un costume dont le paradoxe est de révéler néanmoins l’identité et l’humanité de chacun. Des hommes et des Dieux n’en est que plus troublant, qui cerne la vérité de ces individus se rejoignant dans l’acceptation d’une mort annoncée. « On peut rapprocher cette expérience de celle rapportée dans le livre Dialogues avec l’ange. Je crois que pour ces moines, ce n’était plus qu’une formalité. En un sens, toute leur vie avait été tendue vers ce moment: ils voulaient juste se retrouver avec Dieu, après avoir fait autant de bien que possible de leur vivant. Si je devais être cynique, je dirais qu’on ne pouvait rêver meilleure publicité pour leur cause, qui était d’établir un pont entre le catholicisme et l’islam, ou quelque religion que ce soit. Ils sont morts pour cela, et nous voilà aujourd’hui à parler d’eux. »

De même qu’il insiste sur le caractère visionnaire de Christian de Chergé (« il était des siècles en avance sur son époque »), Lambert Wilson précise être aujourd’hui investi d’une mission: « L’essentiel, dans ce film, c’est le message humain d’amour, et ce qui en découle, la nécessité impérieuse de cesser de tuer des gens au nom de Dieu. »

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Des hommes et des Dieux, de Xavier Beauvois, avec Lambert Wilson, Michael Lonsdale, Olivier Rabourdin. 2 heures.

C’est à une expérience intense que convie Xavier Beauvois avec Des hommes et des Dieux, un film qui s’inspire librement de la vie et du sacrifice des moines cisterciens du monastère de Tibhirine, en Algérie, en 1996. Opérant tout en retenue, le film épouse le rythme de l’existence de ces hommes, vouée à la prière, au chant liturgique et au travail; cela, en parfaite harmonie avec leurs frères musulmans, dont ils partagent les joies et les peines, soignant les uns, participant aux fêtes des autres. Bientôt, pourtant, les rumeurs d’une intolérance croissante montent jusqu’au village. Et lorsque les ouvriers croates d’un chantier voisin sont égorgés par des terroristes, le danger se matérialise dans toute son acuité.

Le dilemme qui se pose alors aux religieux français (partir ou rester, alors que terreur et violence se font omniprésents), Beauvois l’orchestre en un crescendo de tension, sans se départir pour autant d’une volonté contemplative. Il trouve les arguments cinématographiques pour aborder un sujet si délicat, entre austérité toute cistercienne d’ailleurs et vocation à l’épure, jusqu’à dispenser un vent d’authentique spiritualité à l’écran. C’est là, évidemment, le tour de force d’un film tendant à l’essentiel, pour culminer dans une scène d’une lumineuse beauté, relecture de la dernière Cène qui réunit, autour d’un repas et au son du Lac des Cygnes, ces hommes ayant fait le choix d’accepter la mort en un martyre souriant et serein que la caméra vient cueillir en glissant de l’un à l’autre. On atteint là au sublime, pour un film véritablement touché par la grâce.

Alors que les ombres des Lambert Wilson, Michael Lonsdale et autres, tous admirables, s’enfoncent dans les montagnes enneigées dans la promesse d’une disparition annoncée, Des hommes et des Dieux produit, pour sa part, une impression indélébile, qu’il assortit, sans jamais verser dans le pensum, d’un message d’écoute, de paix et de fraternité. Un film majeur pour un Grand Prix cannois certes point usurpé.

J.-F.Pl.

Jean-François Pluijgers, à Cannes

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