Papa Wemba et Manou Gallo, à bâtons rompus

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Papa Wemba, monument congolais, et Manou Gallo, outsider ivoirienne, tous deux programmés à Couleur Café, se rencontrent dans un café parisien baptisé Au rendez-vous des Belges pour un africa-talk nourri: indépendances, trafics, espoirs, pouvoir de la musique, rires et plaisirs…

Manou arrive la première en Thalys de Bruxelles, intimidée à l’idée de se retrouver nez à nez avec Papa Wemba. Lui, c’est Fela sans la politique, James Brown sans l’Amérique, Caruso sans les pâtes, l’incarnation d’un pays qui ne fanera jamais. Chanteur exceptionnel et pionnier de la world, le rossignol du Kasaï débarque donc en voisin parisien, jogging vert et jaune criard, siglé Yamamoto.

A 61 ans et une vie qui vaut bien quelques romans, le Sapeur (1) impressionne Manou, bientôt 38 ans, frimousse chocolatée perpétuellement fendue d’un sourire XXL. Ambitieuse, l’Ivoirienne de Bruxelles découverte chez Zap Mama mène sa barque et sa basse via un troisième album solo délaissant les soupçons de virtuosité pour une afro-pop goûteuse. Le meeting entre les deux générations a lieu à un mois de Couleur Café 2010 qui fête l’indépendance de 17 pays du continent black.

Papa, ton père était dans l’armée belge, quel souvenir personnel gardes-tu de la période coloniale?
Papa Wemba. Je ne sais pas si l’actuel roi des Belges viendra participer à la grande date d’indépendance du 30 juin, mais Albert II en invité spécial, c’est quand même un honneur. Et la première fois qu’un roi belge vient au Congo depuis Baudouin en 1969! Je me rappelle l’avoir vu lors des fêtes de 1960, j’avais 11 ans, et on l’appelait bwana kitoko, le beau garçon. Il n’était pas charismatique, mais attirant, avait une voix très faible et parlait doucement, c’était étrange! Baudouin 1er nous a fait rêver et quand Mobutu est arrivé au pouvoir, il s’est tout de suite glissé dans le comportement vestimentaire du roi…

Manou. Ma mère me parlait des colons en m’expliquant que les frères de son père étaient partis se battre pour la France! Ils étaient tous fiers et voulaient participer à cette guerre: je ne sais pas trop comment prendre cela aujourd’hui!

PW. Mais pour les Congolais, avoir un visa de la Belgique, c’est la mer à boire… A cause des abus peut-être. Le Belge n’a pas développé le pays qu’il avait colonisé, c’est pour cela que l’Africain doit se prendre en charge! J’ai eu la chance d’être invité par le Guide Kadhafi qui m’a reçu et parlé d’un gouvernement des Etats africains. Les USA et l’Europe sont des blocs, pourquoi ne le serions-nous pas?

M. Oui, mais quand tu vois ce que Kadhafi fait en pratique (rires). Je crois davantage aux discours de gens comme Nkrumah (1909-1972, premier président ghanéen, père des indépendances africaines, ndlr) qui ont essayé de mettre en pratique le panafricanisme!

Papa, tu parles des problèmes de visas, mais en 2003, tu es arrêté par les autorités françaises et accusé de faire passer des clandestins pour des musiciens de ton groupe. Tu vas passer plusieurs mois en prison et, au final, en novembre 2004, tu es condamné à trente mois dont quatre fermes et une grosse amende. Que s’est-il passé?
PW. On parle du développement de l’Afrique, du rêve des familles africaines de « Voir l’Europe et mourir ». En partie à cause de Western Union qui fait vivre l’Afrique avec l’argent envoyé d’Europe… La France n’est pas encore prête à l’accepter: il n’y a pas que moi qui faisais ce genre de trafic. Il y avait des échanges et des deals entre diplomates africains et européens, des bakchichs, beaucoup d’argent en liquide… Je n’ai rien gagné dans tout cela (2)! J’ai juste aidé les enfants à s’installer en Europe pour aider les familles…

Quelle a été ton expérience de la prison?
PW. Je me suis retrouvéà Fleury-Mérogis (au sud de Paris), devant accepter l’idée de vivre avec la prison. Le jour de ma sortie, le directeur m’a fait appeler dans le bureau et m’a félicité pour ma conduite. On ne m’a pas fait sortir par la grande porte où m’attendait la presse mais par un endroit dérobé. La seule chose que je me suis dite alors a été: « Il faut que la musique reprenne le dessus ». Le chef de l’Etat, Joseph Kabila, m’a soutenu et a payé mon amende de 30.000 euros…

On dit que cette histoire a intensifié ton sentiment religieux…
PW. Au départ, je suis quelqu’un de très religieux. Certains ne le comprendront pas mais, en prison, j’ai été visité et senti dans mon coeur profond que Dieu me parlait. C’est difficile de faire gober cela à quelqu’un d’autre, mais Dieu me disait qu’il pouvait me briser ou m’élever jusqu’à ma meilleure expression… Cette expérience m’a inspiré un morceau, Numéro d’écrou. Après tout, je n’ai que ma voix à offrir.

Ce n’est déjà pas mal…
M. Quand on parle de lui, on dit que c’est notre papa national. Les Africains ont été très touchés par cette affaire, les médias ont tellement grossi l’événement (sic), finalement, on a éprouvé plus de compassion qu’autre chose. J’ai joué dans le groupe Woya en Côte d’Ivoire qui était un peu le Kassav de l’Afrique de l’Ouest, et dans les années 80, on a fait une télé avec Papa à Abidjan. J’étais très impressionnée.

En Afrique, musique et politique ne forment pas un très bon couple!
PW. Mobutu nous a tous contraints au silence. Or, on a grandi avec lui. Il nous avait laissé les fringues pour nous placer en dehors de la politique. Maintenant, la mode est dans la rue, c’est pour cela que j’aime Paris et Tokyo. A une époque, des Japonais débarquaient à Kinshasa pour me voir. Sinon, en Afrique, la musique est libre à condition de ne pas toucher à la politique!

Fela?
PW. Il est anglophone!

M. Il était combattant, sa mère, sa famille, l’étaient aussi et le soutenaient. Pourtant, les Africains francophones sont plus rebelles que les anglophones: chez eux, tout est discipliné…

PW. Ils sont restés vivre plus longtemps avec l’homme blanc (sourire).

Papa, au début de ta carrière, tu te faisais appeler Jules Presley! Le prénom vient de ton patronyme (Jules Shungu Wembadio Pene Kikumba). Mais Presley?
PW. J’avais des amis qui étaient étudiants en Belgique et qui en ramenaient des vinyles, c’est comme cela que j’ai découvert le rhythm’n’blues, Otis Redding et James Brown. Je n’écoutais pas trop Elvis mais c’est un ami qui m’a collé Jules Presley…

Ta mère était « pleureuse » aux enterrements!
PW. Dès le matin, elle chantait en patois tetela et me donnait la chair de poule avec des mélodies très mélancoliques. Elle était pleureuse mais c’était du bénévolat. J’ai aussi découvert la musique à l’église, c’est là que je me suis rendu compte que j’avais un talent. On me faisait chanter à chaque fête et les femmes prenaient leurs pagnes pour les mettre à terre et me faire marcher dessus. Mon père ne voulait pas que je devienne chanteur mais il est mort quand j’avais 17 ans. On fabriquait aussi nos propres guitares.

M. Je me suis acheté une basse acoustique fabriquée dans la rue, à Kinshasa…

Que vous inspire la notion d’indépendance?
M. Ma mère a connu l’époque française et en était toute fière. Moi, j’ai connu l’époque où l’on s’est pris en main.

PW. J’ai écrit une chanson dont le titre est La chauve-souris, en lingala, lomgembo. L’Afrique est comme la chauve-souris, elle a une double personnalité. J’étais à Dakar et j’ai assisté à l’inauguration du Monument pour la Renaissance Africaine (3): pour moi, c’est une interpellation. On peut parler du passé mais il faut voir le futur, il faut que l’Afrique se prenne en charge. Des coopérations nord-sud peuvent exister mais on a suffisamment de talent, de jugeote, de diaspora, pour aider le continent… L’homme blanc nous a imposé sa façon de voir les choses à 150%!

Quelque chose de bon à retenir de l’homme blanc?
M. L’école!

PW. Il nous a laissé beaucoup de choses mais, dans mon pays, tout semble à refaire, ce sont les fameux cinq chantiers de la République. J’y crois à condition que la population s’implique et ne se contente pas de laisser faire les Chinois, maîtres des travaux. Il faut que notre histoire nous appartienne.

Papa Wemba à Couleur Café, le vendredi 25 à minuit au Chapiteau Univers.

Manou Gallo à Couleur Café, le samedi 26 à 22 heures au Chapiteau Fiesta.

www.couleurcafe.be

(1) SAPE: société des ambianceurs et des personnes élégantes.
(2) ce n’est pas l’avis du tribunal français parlant de 3000 à 4500 dollars par clandestin importé par Wemba et ses complices.
(3) controversé pour son coût, 23 millions d’euros, et parce que le président du Sénégal, Abdoulaye Wade, se réserve, au titre de la propriété des droits intellectuels, 35% des recettes engendrées par les visites…

Rencontre Philippe Cornet

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