Serge Coosemans

From Disco to Disco

Serge Coosemans Chroniqueur

Les Derniers Jours du Disco, novelisation enfin traduite du film de Whit Stillman ravira peut-être les noctambules nostalgiques et superficiels des années Chic et du New York de 1980 ayant envie de lire un roman sur les amours et les ambitions de leurs semblables. Cela n’en reste pas moins un piètre document sociologique, estime Serge Coosemans. Sortie de Route, S03E36.

Technikart, dans l’un de ses derniers numéros, a publié les quelques rares bonnes feuilles des Derniers Jours du Disco, roman de Whit Stillman seulement récemment traduit par les éditions Tristam et adapté du scénario de son propre film de 1998. Ecriture vive, remarques acerbes, fond sociologique pertinent… Il était permis de penser à un document fouillé en découvrant dans le magazine parisien cette scène du bouquin où quelques yuppies font tout et surtout n’importe quoi pour entrer au Club, discothèque fictive de prestige très inspirée du légendaire Studio 54. Hélas, 54 fois hélas, Les Derniers Jours du Disco n’est pas grand-chose de plus qu’un énième roman pète-sec d’apprentissage bourgeois, sorte d’erzats sous quaalude de Francis Scott Fitzgerald, avec The Chic Organization et Harold Melvin & The Blue Notes en fond sonore d’une valse des sentiments et d’un bûcher des vanités franchement ennuyeux.

L’histoire de ce bouquin est encore ce qu’il y a de plus intéressant à en retenir. En 1998, Whit Stillman sort The Last Days of Disco, film considéré par Wikipedia comme  » a sardonic comedy drama  » et par le réalisateur comme le troisième de sa série  » Doomed-Bourgeois-In-Love « , après Metropolitan et Barcelona. C’est un échec financier majeur et Stillman met un certain temps à s’en remettre, ne revenant au cinéma qu’en 2011. Suite à une certaine sympathie critique et suite aussi à une grande ambition littéraire personnelle, Stillman tire quoi qu’il en soit, en 2000, un bouquin de son scénario. La novelisation est généralement un exercice écrit qui tient davantage du produit dérivé que de la grande littérature, mais ici, l’auteur, plutôt que d’adapter son scénario à la lettre, réimagine l’histoire au travers des yeux du narrateur, Jimmy Steinway,  » le publicitaire dansant « . Dans le bouquin, c’est Jimmy qui adapte en roman un scénario qu’il n’hésite pas à commenter, à enrichir de ses propres souvenirs, à critiquer même. En plus de raconter le destin des personnages, Jimmy contextualise le New-York disco, parle des modes vestimentaires, cite les morceaux de musique emblématiques de l’époque. Cette façon de détourner l’objet de merchandising par Stillman a tout d’une mise en abîme définitive. D’ailleurs, la fin du roman se passe lors de la première du film.

Ce jeu de réécriture et cette prise de distance ne sont pas sans rappeler les premières pages de Lunar Park et d’ Imperial Bedrooms de Bret Easton Ellis et Stillman échappe d’autant moins à la comparaison avec celui qui tweete désormais mieux qu’il n’écrit que les Derniers Jours du Disco sont en quelque sorte ses propres Lois de l’Attraction. On y suit Charlotte et Alice, deux jeunes diplômées qui essaient de percer dans le monde de l’édition et sortent en discothèque avec des yuppies. Ces demoiselles sont égotiques, prétentieuses, fauchées et jamais dernières pour mener durant des pages entières des discussions vides de sens, notamment sur Nostradamus. Whit Stillman n’est pas dénué de talent pour croquer cette vaine logorrhée cachant bien mal la valse des sentiments, les tourments intérieurs et l’ambition superficielle des personnages. Par contre, quand il s’agit de digresser sur les cravates new-wave, la politique des portiers, l’insalubrité des appartements new-yorkais et la machinerie sociale des discothèques, l’auteur se montre beaucoup trop vague. Alors que c’est justement le plus passionnant.

C’est peut-être beaucoup chichiter mais il faut aussi relever une erreur grossière dans le bouquin, peut-être davantage due à une faute de traduction qu’à Stillman lui-même. Page 48, la version française tombera quoi qu’il en soit des mains de n’importe qui connaissant du disco ne fut-ce qu’une bonne compilation K-Tel. On y écrit :  » Le DJ lança son mix, d’abord des extraits de  » Champagne  » d’Evelyn, puis  » Shame  » de King qui démarra en fond sonore, et finalement pris le dessus en fondu-enchaîne.  » Il n’existe pas de  » Champagne  » chanté par une certaine Evelyn, ni de  » Shame  » par l’un ou l’autre King. Par contre, en 1978, l’artiste disco Evelyn  » Champagne  » King plaça un morceau depuis devenu classique du nom de Shame en huitième place du Billboard US.

Bref, ce n’est pas ici que l’on trouvera la véritable histoire des véritables derniers jours du disco, seulement un petit roman de série B écrit par quelqu’un qui n’a ni la verve de Breat Easton Ellis, ni l’humour de Frédéric Beigbeder et encore moins le génie de Francis Scott Fitzgerald au moment de croquer le yuppie surdiplômé dans son habitat naturel. On peut d’ailleurs rappeler que le document écrit définitif sur le disco existe. Il s’appelle Turn The Beat Around, est signé Pete Shapiro et est disponible chez Allia en traduction aussi française que très soignée, cette fois.

Les Derniers Jours du Disco de Whit Stillman, 350 pages, éditions Tristam, 21,50€

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