Critique | Musique

Melingo – Corazon & Huesco

BLUES | Après Arno et Tom Waits, l’internationale des larynx rabotés présente Melingo, chasseur de tango: bien au-delà des bordels fantasmés de Buenos Aires.

Melingo, Corazon & Huesco, distribué par Harmonia Mundi. ****

Écouter l’album sur Spotify.

Non, le tango n’est pas juste la conséquence flétrie de 2 amants dans des poses dignes du film muet d’autrefois, brillantine et satin bouillis à la fumée de nuits sans fin. Le tango selon Melingo (1957) est un truc aussi roots que les Cramps, aussi black que John Lee Hooker, aussi Jésus que Nick Cave. Imaginez Buenos Aires, ville qui évoque Madrid en XXL, avec cette démesure urbaine latino où les cités ne s’arrêtent qu’aux confins de la misère sociale, c’est-à-dire jamais. Flanqué d’un diplôme de clarinettiste décroché au Conservatoire de Buenos Aires, musicologue universitaire, Melingo a déjà vécu plusieurs vies, conditionnées par le régime militaire qui pollue l’Argentine dès la fin des années 70. Melingo a voyagé: musicien au Brésil dans le groupe du géant Milton Nascimento, teuffeur à Madrid en pleine érection Movida années 80, il s’est entiché du tango mais dans sa version lunfardo, c’est-à-dire crue, slang et sexuelle. Un truc génétiquement louche, comme si Joey Starr s’était converti aux chansons soul et spleen, shakespeariennes du sud.

Le cri du larynx

Cela fait quelques disques qu’on peut écouter en Europe la musique de Melingo, notamment par son association au label Manana d’Eduardo Makaroff, tiers argentin de Gotan Project. Quand on l’interviewe il y a 3 ou 4 ans, Melingo ne parle ni français ni anglais mais sa tronche traduit tous les rébus linguistiques: gueule consacrée par les rides, dans la lignée des Arno/Waits déjà mentionnés. Contrairement à ces deux-là, le chemin musical semble encore libertaire, sans souci des piratages de l’image ou du marketing. Les 13 plages du nouveau disque baladent et hypnotisent. A chaque titre (sommairement traduit en français dans le livret), c’est toute une histoire, chaque fois différente, qui s’épanouit: comme d’hab’, il s’agit de récits cabossés et colorés. De rupture (El dia que te fuiste), de mort précoce en milieu interlope (Soneto…), de prisonnier réel (El tatuaje), de poète obsédé (Negrito) et bien sûr de tango, quitte à être revisité par les animaux (Fabula) . La langue espagnole habille le drame de mélo, le larynx de Melingo se chargeant du reste: inflexions, oeillades, fantasmes, coups de blues, coups de coeur. Melingo chante les dérapages de la vie avec charme et convivialité: ensemble, ils convolent en arrangements élégants, organiques, terriens. Qui, là aussi, rejouent ce vieux truc indémodable qui consiste à verser de la soie liquide sur les douleurs de charbon: les cordes ne pendent pas le chagrin, elles le soulagent. Avec cette illusion propre aux meilleures musiques: donner un parfum d’aventure à l’auditeur.

www.danielmelingo.com

Philippe Cornet

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