Laurent Raphaël

Crise d’autorité

Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

L’édito de Laurent Raphaël

Quel est le point commun entre les Anonymous, la communauté masquée qui milite pour un Internet sans frontières et sans péages, et l’orchestre symphonique français Les Dissonances? Réponse: l’absence de chef. A l’encontre des us et coutumes de la société, le réseau semi-clandestin de hackers comme l’ensemble classique de haut vol créé par David Grimal font tourner leur boutique respective sans avoir besoin d’un gradé qui les mène à la baguette. Pour bien montrer qu’ils se passent de galons, les membres de la confrérie geek sont d’ailleurs priés d’enfiler le masque pop du combattant de la liberté de V pour Vendetta, le comics d’Alan Moore et David Lloyd, lorsqu’ils sortent du bois numérique pour manifester ou pour menacer les puissants de représailles informatiques. Pas de risque comme ça de se faire pincer et surtout de voir une silhouette endosser malgré elle le costume de porte-parole de ces nouveaux Dadaïstes (qui s’y entendaient comme personne pour foutre le bordel dans les pince-fesses culturels). Et du coup inoculer l’idée d’un début de hiérarchie.

Cette structure horizontale ne facilite pas le travail des enquêteurs à leurs trousses puisque l’organisation ne peut par définition être décapitée. En calquant leur organigramme sur l’architecture en dentelle du Web, les Anonymous ont en fait remis au goût du jour un modèle de gestion iconoclaste qui a fait long feu au détour des années 60 et 70, quand le refus de l’autorité était mis à toutes les sauces sociologiques, chez les hippies notamment. Ce régime sans capitaine fait aujourd’hui des petits dans la « vraie » vie. Que ce soit à travers les flashmobs, ces rassemblements furtifs proches de la performance artistique qui peuvent mobiliser quelques dizaines ou quelques milliers de personnes, ou dans l’esprit communautaire qui emmitoufle les campements de l’internationale des indignés.

Une crise d’autorité préméditée qui n’est pas réservée aux seuls idéalistes connectés. Les Dissonances, plus habitués à la 5e de Beethoven qu’à la Mano Negra, rompent eux aussi les amarres avec la tradition en faisant l’impasse sur la sacro-sainte figure du chef d’orchestre, clé de voûte de toute cathédrale symphonique. Dans l’inconscient collectif, si on retire cette pièce maîtresse, c’est la mélodie qui s’écroule. Et pourtant, de l’avis des spécialistes, le band porte mal son nom: ses concerts tiennent parfaitement la note et la route. Simplement, au lieu de converger vers la tête, la musique circule entre tous les organes, gagnant en souplesse et vitalité. Si l’autogestion n’est évidemment pas la panacée -on voit mal comment venir à bout d’une entreprise pharaonique comme Le Seigneur des anneaux sans une chaîne de commandement quasi militaire-, elle peut apporter de l’oxygène pour ranimer l’envie de la base, souvent étouffée par l’ego de chefs surexposés. A méditer, avec ou sans son supérieur…

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