Dominique A, dans la lumière exactement

Nouvel album « Vers les lueurs », rééditions, livre… Dominique A est sur tous les fronts. Portrait de celui qui s’impose plus que jamais comme l’un des piliers de la chanson française.

Il ne faut jamais croire les artistes. Depuis 5 minutes, Dominique A prône la décélération, la prise de recul, le ralentissement pour éviter de foncer droit dans le mur. La belle affaire. Jamais en effet Dominique Ané (1968, Provens, Seine-et-Marne) n’a semblé aussi hyperactif. Concerts, rééditions de ses huit premiers albums, nouveau disque, et même un livre (Y revenir, à sortir chez Stock, en mai). L’intéressé rigole. « J’avoue! C’est un peu l’époque qui veut ça. Directement du producteur au consommateur. C’est stressant, mais le positif c’est que cela met un coup de speed à tout le monde. Ici, je sors mon 9e album. Pas mon 2e, ni mon 3e. Il ne faudrait pas donner l’impression que cela tourne plan-plan. »

Vingt ans de musique au compteur depuis La Fossette. En 1992, un ovni déboule dans la chanson française. Un disque malingre, aux programmations électroniques squelettiques, musique de chambre bricolo-claustro qui tranche avec la production d’alors. Journaliste à Libé, Arnaud Viviant tombe dessus. « Dominique qui s’appelait encore Ané m’a envoyé Un disque sourd, un vinyle autoproduit de six ou huit titres. J’ai adoré, j’ai pris mon téléphone et je le lui ai dit, tout en ajoutant que je ne pouvais pas parler d’un disque autoproduit à 100 exemplaires dans Libé, mais que s’il trouvait un label, je ferais une page entière sur lui! Cela a poussé Chauvier à monter le label Lithium. Et moi j’ai tenu ma parole, j’ai fait ma page, tout en poussant Lenoir (présentateur culte d’une émission de rock indé sur France Inter, ndlr) à le diffuser à son tour. On y croyait. »

Seconde vie

Sur son nouveau disque, Vers les lueurs, figure notamment le titre Parce que tu étais là, réponse sibylline d’un garçon à son amoureuse qui a eu la mauvaise idée de demander pourquoi elle, pourquoi eux. « C’est typiquement une chanson de mec, m’a dit une copine », s’esclaffe Dominique A. En attendant, on se demande en effet à quoi aurait ressemblé le paysage musical francophone sans des albums comme La Fossette, mais aussi La Mémoire Neuve, Auguri ou la Musique. Rien que d’y penser, on frémit… En cela, la réédition des huit albums, chacun accompagné d’un CD d’inédits, est une piqûre de rappel bienvenue. Une sorte de bilan, un « solde de tout compte », qui fait replonger dans une oeuvre dont l’amplitude surprend toujours. « Moi qui suis très attaché à l’objet disque, j’avais vraiment envie de revoir les albums dans les rayons. Leur permettre d’avoir une seconde vie. Sinon ton répertoire dépérit, tout simplement. Si toi-même tu n’es pas là pour rappeler que tu as fait ça, les gens oublient. Même les trucs soi-disant essentiels sont contournés par le temps. Parce qu’il y a une production pléthorique, avec un accès plus facile. Le choix est immense! »

Dominique A a d’autant moins d’état d’âme à dépoussiérer l’ancien catalogue que le nouveau, Vers les lueurs, déboule dans la foulée. « C’est clair que j’aurais sans doute eu un rapport moins joyeux, j’aurais été moins sûr de mon coup, si je n’avais eu que la rétrospective. Je me serais dit que c’est souvent un signe d’assèchement. La première planche du cercueil (sourire). »

Allées sereines

On en est encore loin. Pour le coup, Dominique A semble même n’avoir jamais laissé passer autant la lumière. En vrai, la philosophie de base n’a pas changé: « Dans les musiques que j’écoute, je veux sentir une patte, une présence, une implication. J’ai envie d’y trouver à la fois de la distance, parce qu’il en faut, et la sensation d’une immersion totale de l’artiste dans son art. Des morceaux où tu sens un substrat, des choses très ancrées dans la personne. Après je peux écouter des choses plus légères, mais les musiques qui me marquent sont celles où tu sens vraiment quelqu’un qui cherche une place dans ce monde. » Dans Ostinato, il chante par exemple: « Je suis sorti des rues, des jardins anxiogènes/mais je ne parviens pas jusqu’aux allées sereines »

Dans la pratique, l’enregistrement du nouvel album sera d’ailleurs largement chaotique, opéré dans l’urgence. « Un vrai bordel! » Avec un parti pris live renégocié au dernier moment, un première série de concerts, un mixage au pas de course, deux premiers titres balancés en avant-première sur le Net… L’album n’était pas encore terminé que les premières réactions tombaient sur les forums. « On recevait des commentaires alors qu’on était encore le nez dessus. Jusqu’à un certain point, j’aime bien ce fonctionnement un peu « sixties »: la session est finie à 17h, on envoie le disque aux DJ, le truc un peu à la Motown. Mais cela reste périlleux. Il faut que ce soit bien à la fin. »

Si Dominique A peut se permettre de fonctionner comme ça aujourd’hui, c’est parce que l’assise -appelez même ça une carrière- est là. Une base solide sur laquelle s’appuyer. « Depuis L’Horizon (2006), j’ai l’impression d’avoir commencé à maîtriser vraiment les outils. Quand je vais vers quelque chose, c’est beaucoup plus carré qu’avant. Il y a toujours du hasard, mais je contrôle mieux les incidents, les choses qui surviennent. » Plus tard, il explique encore: « Aujourd’hui peut-être plus que par le passé, j’ai des envies d’évidences. De clarté. Comment dire?… Que la chanson ait une évidence quand elle arrive dans l’oreille de gens, qu’ils aiment ou pas, peu importe. Je ne pourrais plus faire un disque comme Remué. Parce que j’ai changé. Parce que ça m’intéresse pas. Parce que je n’écoute plus vraiment ce genre de musique. Et puis parce que je ne suis plus dans la démolition. Je suis plus bâtisseur que destructeur. »

Laurent Hoebrechts

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