Critique | Musique

Thomas Fersen – Je suis au paradis

CHANSON | Amoureux des séries B, Fersen se penche sur Dracula, Barbe Bleue ou les loups-garous, en réinventant ses propres scénarios malicieux. On se laisse vampiriser.

Dans le film Gainsbourg, vie héroïque de Joann Sfar, Thomas Fersen joue le rôle d’un loup. Dans ce neuvième album studio depuis 1993, il y ajoute le facteur mutant pour camper Les loups-garous. L’histoire est terrible: « Par une rare conjonction entre Vénus, Mars et Saturne/Mordu par un chien taciturne, j’avais reçu l’extrême-onction (…) Mais sur les douze coups de minuit, j’ai repris du poil de la bête. » Lorsqu’il s’attaque au Comte Dracula en ouverture du disque, ce n’est pas moins sentimental: « Dans les rues de la ville, parmi la multitude/Je l’imagine dans son lit de solitude/Ce fou romantique. » Le script fersenien part d’un stéréotype, d’un croquis, d’une silhouette de personnage croisé, pour en décortiquer la vanité, l’absurdité, l’hérésie. Et le potentiel d’en faire une chanson basée sur l’émotion humaine, y compris celle de la monstruosité. L’exercice est appliqué ici à 12 reprises sous le thème de l’anormalité et du fantasme des frayeurs populaires, habituellement déclinées en films ou bouquins. Ce n’est qu’un -joli- prétexte pour construire sa propre vision où la drôlerie est davantage que la jambe de bois du malheur.

Je jouis

L’une des réussites de l’album arrive en deuxième plage, La barbe bleue, où le dialogue se fait entre un curieux, trouvant que dans l’armoire « cela sent bizarre », et le propriétaire du placard niant toute intrusion où « cela sent le pourri ». On est autant dans un sketch que dans un court métrage, rappelant la qualité cinématographique du travail de Fersen. D’autant que la mélodie se traîne de façon paresseuse le long du fleuve mélancolique, dopée par un sifflement très pur qui ramène à l’époque pré-cynique des génériques télé ou ciné tout en mousseline volatile. Il en va ainsi de la musicalité d’un disque qui plane un peu, se sert d’un piano esseulé (Une autre femme) ou de cordes parfaitement ceintes (Le balafré, L’enfant sorcière) pour rendre le propos aussi léger que l’air. Le talent de Fersen est de parler entre les couches, de donner de l’oxygène à ses millefeuilles chantés. Quitte à rompre toute sérénité par des guitares soudainement crispées qui accompagnent une nouvelle bio imaginaire de… Mireille Mathieu (Mathieu). Après tout, ces fausses fictions jouant avec le plausible, l’hurluberlu congénital et 2 doigts de cruauté, offrent autant d’indices sur la nature de l’artisan dans le vent. Qui est aussi là pour tracer ses désirs, s’imaginant dans la peau d’un centenaire encore vert: « Je fais semblant d’être sourd mais je suis prêt pour l’amour/Je jouis, je jouis, je jouis, c’est inoui (…) Mon fils est un vieux schnock/Ma fille est une vieille bique/Quand je l’embrasse, elle pique/Y en a marre des vioques. » La chose est titrée Félix, du prénom de Monsieur Faure, président de la République Française de la fin du XIXe, qui, paraît-il, mourut d’avoir trop joui…

Thomas Fersen, Je suis au paradis , distribué par PIAS, ***

Philippe Cornet

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