Critique | Musique

Bob Dylan, vieille canaille

© Tempest Publicity Photo
Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

ROCK | À la première chanson de « Tempest », on maudit la voix scrogneugneu. À la seconde, le septuagénaire se réveille. À la troisième, il emballe. Sacré conducteur ce Bob.

BOB DYLAN, TEMPEST, DISTRIBUÉ PAR SONY MUSIC. ****

On a un ami, né dans le même hôpital que Dylan à Duluth, Minnesota, deux ans après lui. Il s’appelle Bill Haglund, il est anthropologue légiste: plusieurs fois par semaine, il emmène son banjo et traverse tout Seattle, où il habite face à l’horizon de montagnes enneigées, pour jouer dans un garage, une grange, un salon, avec ses potes, d’anciens flic, pompier, couvreur, mécanicien. Le répertoire grince sous le bluegrass et la old time music et, au même moment, on imagine que semblable scène de communion terroir prolifère dans tous les coins d’Amérique . En écoutant le 35e album de Dylan, c’est exactement l’impression reçue, sauf que Bob écrit ses propres vieilleries, pas besoin d’aller les exhumer dans les Appalaches. Deux, trois différences s’imposent néanmoins entre la star mondiale et les amateurs éclairés.

D’abord la voix dylanesque puise ses boyaux dans des raclements de gorge dont on ne connaissait même pas l’existence: on dirait moins un chant qu’une scintigraphie de larynx, ce qui fera plaisir à ceux qui vont bientôt abandonner la cigarette. Pour Bob, cela s’aggrave depuis quelques disques et l’affaire finira sans doute en mausolée éteint d’un ultime album à la voix définitivement tue: l’intéressé nie que le titre Tempest fasse expressément référence à The Tempest, oeuvre-testament de Shakespeare, mais on peut penser différemment. Autre fait notable: le groupe de Bob, emmené par le guitariste Charlie Sexton, est nettement plus rodé que la moyenne des soudards de Seattle et d’ailleurs. Ça pulse et ça couine sur des déhanchements country-folk nappés d’une réserve de rock qui remonte périodiquement à la surface, par exemple dans Pay In Blood où le riff à la fois désabusé et triomphant rappelle celui des Stones période glorieuse (64-72).

Leo DiCaprio

L’accompagnement, comme la production -assumée par Bob sous le patronyme de Jack Frost-, est tour à tour modeste, lyrique, férocement caméléon, comme le patron dont les paroles se teintent de métaphores feuillues tout en accordant à certains rébus le statut d’intentions décryptées. Tempest, la plage titulaire, entre d’emblée dans la « légende Bob » via ses 13 minutes 55 secondes épiques, consacrées au Titanic (…) , le film, le naufrage, l’acteur -il cite nommément « Leo » (DiCaprio)-, Dylan cherchant dans ce désastre humain le thème de la survivance.

Avec celui de la mort et de la religion, ce sont les mantras du disque où le chanteur au vinaigre apparaît inhabituellement sentimental, via des tempi qui pourraient venir des bals ou bar mitzvah de jeunesse (?), mélangeant ses allégories naturelles -à 71 ans on ne se refait pas- aux coups de coeur lancés vers les anciens guerriers privés de son karma de survie. Ainsi les 7 minutes 26 secondes de Roll On John dédiées à Lennon, palpitantes, rachèteraient presque la misanthropie dylanienne étanche des 50 dernières années. C’est dire…

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